Un Billet de Xeno – Panem et Circenses

 

Par Xavier Houzel.

Pendant presque un mois, du 20 novembre au 18 décembre 2022, le Français moyen a eu les yeux rivés sur le petit écran, en zappant du programme de la coupe du monde de football sur TF1 à celui  de l’Opération Spéciale d’Ukraine sur LCI et vice versa. À quelques différences près selon les âges et les régions du monde, le temps d’écoute a été équitablement partagé entre les programmes.

L’audience était la même ; les spectacles se valaient. On aurait pu intervertir les commentateurs respectifs ; ils parlaient de la même façon, au même rythme, avec la même passion et, au fond, de la même chose… de cartons jaunes et de crimes contre l’humanité, de surfaces de réparation et de buts validés, embarqués dans un même ascenseur émotionnel… : on avait le choix entre le soft et le hard.

La question ne se posait pas de savoir quel programme était le meilleur – c’étaient des « must » absolus – ni lequel des deux investissements serait finalement le plus rentable pour les sponsors. Par curiosité, j’ai voulu tirer de cette double expérience une leçon personnelle en essayant de voir où nous allions.

Et j’ai choisi, pour faire le point, la méthode du professeur Nimbus, en retenant les trois paramètres que sont (1) le temps passé (qui est donné pour être le même sur le mois de référence pendant lequel les deux spectacles ont été simultanément à l’affiche), (2) la qualité et la densité de l’émotion (mesurée sur échantillons) et (3) le coût, ramené aux dépenses cash sur la période fixée, plus deux epsilon, le premier étant les dégâts collatéraux et, le second, la classique perte de chance.

Il y a 67 millions de Français (tous moyens pour ne blesser personne), dont les 2/3 seulement sont en âge de regarder la télé, et un total de 8 milliards d’habitants sur la terre – n’ayant malheureusement pas tous la télévision. Mettons que cela fasse deux milliards de spectateurs assidus – y compris les 80.000 « en présentiel » – pendant 28 jours +2 jours pour les prolongations pour permettre aux gagnants de la Coupe de rentrer en fanfare dans leur pays d’origine, ce qui fait un mois plein.

On arrive à l’estimation de 220 milliards de Dollars pour l’organisation de « la Coupe du monde » mise à l’écran par le Qatar pendant un mois d’affilée. Et l’on estime le coût global de « l’Opération spéciale » étalée en Ukraine sur 10 mois  à 2.200 milliards de Dollars, soit, par mois de petit écran, à 220 milliards de Dollars de dépenses en chars, missiles, drones et obus, une somme identique à l’investissement de la Coupe du monde pour un même lapse de temps.

À qualité égale d’émotion ressentie (taux de satisfaction du spectateur) et à temps comparable d’audience présentielle et télévisuelle, comme on l’a vu sur la période considérée, on arrive à la conclusion que les investissements se valent ! Rien de conclusif, pour autant.

 

Sachant que, pendant les neuf autres mois de gestation que ladite opération a duré, en mobilisant l’attention sans partage d’audience avec un autre évènement médiatique tel que la Coupe du monde et, surtout, en voyant que la guerre n’était pas encore finie, je me suis ensuite penché sur les epsilon, que j’avais laissés pour plus tard.

 

Aux débours, il convenait, pour être en effet exhaustif, d’ajouter le coût humain de la Coupe d’une part, en termes de main d’œuvre – des Bangladais pour la plupart, avec une déperdition notable– et de l’Opération spéciale d’autre part, en évaluant les frais engagés par 7,2 millions d’habitants ayant dû bouger à l’intérieur des frontières de l’Ukraine, par 5,2 millions de réfugiés à l’étranger et par 1,3 million d’autres gens déplacés de force en Russie et leur dévastation, sans oublier les « pertes sèches » – les contingences dans le tableau de Nimbus – dues aux morts civiles et militaires de part et d’autre du Dniepr.

Au début d’octobre, deux mois avant la Coupe, on répertoriait déjà, d’après les Américains collecteurs d’informations, …quelque 50 000 morts et 80 000 blessés chez les Russes. Chez les Ukrainiens, il s’agissait de 20 000 morts et blessés par mois au cours de la plus récente phase de la guerre, où le conflit était passé d’un ensemble de tactiques basées sur le mouvement à des tactiques dignes de la Première Guerre mondiale, avec des tranchées et des duels d’artillerie, qui s’étaient avérés particulièrement meurtriers. Une fois la guerre finie, la population ukrainienne serait privée d’un « potentiel de croissance » et de « vie en santé » équivalent à 2,8 années de vie perdues, par citoyen. » À la télévision, on ne réalise pas ces choses-là.

Le rédacteur du rapport consulté, un monsieur Ciuriak, chiffrait à la louche le sinistre à 2.500 milliards de Dollars, au minimum ! Et c’était sans compter avec les répercussions de l’Opération sur l’économie mondiale, prise dans le tourbillon de l’inflation. Et là, les chiffres se mettent à danser, les prix de l’Énergie s’envolent.

L’Ukraine, enfin, pour la reconstruction des villes et des infrastructures – à condition que l’on s’arrête dès maintenant de détruire pour détruire – aura besoin de 1.000 milliards de Dollars, soit cinq fois son produit intérieur brut de 200 milliards de Dollars de 2021. Ce qui donne le vertige.

Aussi, suis-je devenu perplexe. Et rageur ! Les 45 milliards de Dollars que je venais de voir – Ainsi font, font, font, les petites… toujours à la télévision – le président Biden remettre à grand renfort de flonflons au pauvre Volodomyr, en tenue de bagnard et rasé comme un joueur de foot pour faire vrai, n’étaient qu’une pichenette, un comble de mesquinerie, à peine un pet d’émir !

Les Américains ont, certes, le chic de ne pas faire la différence entre les envahisseurs et les envahis, qu’ils sont eux-mêmes tout à la fois. Ils ont ratiboisé les territoires de chasse des Indiens, ils ont bombardé Nagazaki, ils ont napalmé les géants du Râmâyana et on le leur a même pardonné… mais ils ne veulent pas laisser la place aux autres, ni aux Russes, ni aux Chinois, et c’est devenu abusif.

À quoi rime ce cinéma… alors qu’à Doha – une fois la coupe bue – on sait balayer et se taire ? Je n’ai pas de réponse. Le président Macron – qui est un sachant – estime pour sa part qu’il est peu vraisemblable que l’Ukraine rentre jamais dans l’OTAN. Il veut des garanties des Américains… autre chose qu’un chèque de 45 milliards. Il doit avoir une idée derrière la tête – des solutions dans sa hotte. Il a le don d’ubiquité, d’être partout sur le terrain. Il faut lui faire confiance.

 

Je vous souhaite à tous, un joyeux Noël et de bonnes fêtes de fin d’année.

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