Massoud Pezeshkian : réformateur ?

Le nouveau président iranien appelle à créer des « relations constructives » avec l’Occident.

De notre partenaire Robert CHAHID

Le réformateur Massoud Pezeshkian, qui plaide pour une ouverture vers l’Occident, a remporté samedi la présidentielle en Iran, face à l’ultraconservateur Saïd Jalili.

Organisée à la hâte après le décès en mai du président ultraconservateur Ebrahim Raïssi dans un accident d’hélicoptère, la présidentielle s’est tenue dans un contexte de mécontentement populaire face à l’état de l’économie du pays pétrolier frappée par des sanctions internationales.

A l’issue du second tour du scrutin vendredi, M. Pezeshkian a recueilli 53,6% des voix contre 44,3% à son adversaire, selon les résultats définitifs communiqués par les autorités électorales. Après un premier tour le 28 juin marqué par une forte abstention, la participation s’est établie à 49,8%.

« Le chemin devant nous est difficile. Il ne sera facile qu’avec votre collaboration, empathie et confiance. Je vous tends la main », a dit M. Pezeshkian, 69 ans, sur X après sa victoire.

Nul n’aurait parié sur le député de Tabriz, la grande ville du nord-ouest de l’Iran, lorsque sa candidature a été acceptée par le Conseil des gardiens avec cinq autres candidats, tous conservateurs.

M. Pezeshkian n’est pas, en effet, l’une des figures de proue des camps réformateur et modéré, mais il a reçu le soutien d’anciens présidents, le réformiste Mohammad Khatami et le modéré Hassan Rohani.

– « Les limites du président » –
C’est un « référendum national » au cours duquel « le peuple a clairement voté » pour une « entente constructive avec le monde », a lancé M. Rohani.

Des images diffusées par les médias locaux ont montré à Téhéran et Tabriz des partisans du réformateur exprimer leur joie dans la rue, avant même l’annonce officielle des résultats.

Des Iraniens, interrogés par l’AFP après l’élection de M. Pezeshkian, ont salué sa victoire, d’autres ont dit ne pas croire à un changement.

« Nous sommes très heureux que M. Pezeshkian ait gagné. Nous avons besoin d’un président lettré pour résoudre les problèmes économiques », a déclaré Abolfazl, un architecte de 40 ans.

« Je ne me sens pas concernée. Ces (candidats) lancent seulement des slogans. Lorsqu’ils prennent le pouvoir, ils ne font rien pour le peuple », a dit Roya, une femme au foyer de 50 ans.

Appelé le « docteur » par beaucoup d’Iraniens, M. Pezeshkian est en faveur de « relations constructives » avec les Etats-Unis, ennemi de la République islamique d’Iran, et les pays européens afin de sortir le pays de son « isolement ».

Mais le président en Iran a des pouvoirs restreints: il est chargé d’appliquer, à la tête du gouvernement, les grandes lignes politiques fixées par le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, qui est le chef de l’Etat et l’ultime décideur sur les dossiers stratégiques.

Pour Ali Vaez, de l’International Crisis Group, la victoire de M. Pezeshkian « rompt avec une série d’élections nationales qui ont vu le camp conservateur renforcer son emprise sur tous les centres du pouvoir ».

Toutefois, « la domination continue des conservateurs sur les autres institutions de l’Etat », a-t-il dit sur X. « Et les limites de l’autorité présidentielle signifient que M. Pezeshkian devra mener une bataille difficile pour garantir des droits sociaux et culturels plus importants sur le plan intérieur et un engagement diplomatique à l’étranger ».

– « Voix des sans-voix » –
M. Pezeshkian, un père de famille qui a élevé seul trois enfants après la mort de son épouse et d’un autre enfant dans un accident de voiture en 1993, se présente comme la « voix des sans-voix ».

Le président élu appelle à régler la question du port obligatoire du voile pour les femmes, l’une des causes du vaste mouvement de contestation ayant secoué l’Iran fin 2022 après le décès de Mahsa Amini, arrêtée pour non-respect du code vestimentaire strict.

Le scrutin en Iran était suivi avec attention à l’étranger alors que l’Iran, poids lourd du Moyen-Orient, est au coeur de plusieurs crises géopolitiques, de la guerre à Gaza au dossier nucléaire, dans lesquelles il s’oppose aux Occidentaux.

M. Pezeshkian a promis de négocier avec Washington pour relancer les pourparlers sur le nucléaire iranien, au point mort depuis le retrait américain en 2018 d’un accord international conclu en 2015.

Des figures de l’opposition en Iran et dans la diaspora avaient appelé au boycott du scrutin, jugeant que les camps conservateur et réformateur représentaient deux faces de la même médaille.

Autre poids lourd du Moyen-Orient, l’Arabie saoudite a félicité M. Pezeshkian, le roi Salmane espérant « développer les relations entre les deux pays frères » qui se sont réconciliés en 2023 après plusieurs années de rupture.

Le président russe Vladimir Poutine a adressé ses « félicitations sincères » à M. Pezeshkian et espéré un « renforcement de la coopération bilatérale ».

Même message en Syrie, où le président Bachar al-Assad a exprimé le souci de son pays « de renforcer les relations stratégiques » avec l’allié iranien.