Turquie : les nouveaux habits historiques du président Erdogan, par Marc Semo
Tournant le dos à l’Occident, le maître de la Turquie s’attelle à l’écriture d’un nouveau roman national. Deux objectifs : redonner toute sa place à l’islam et faire en sorte que l’héritière de l’Empire ottoman retrouve son rang dans le monde.
Sobre bâtiment de pierre grise ouvert aux vents de la steppe anatolienne, le mausolée d’Atatürk, le père des Turcs, domine le vieux centre d’Ankara et reste l’étape obligée pour les chefs d’Etat ou de gouvernement étrangers en visite officielle. Il y a là le sarcophage du fondateur de la République, en 1923, sur les décombres de l’Empire ottoman, et quelques vitrines avec des objets du « Ghazi » (le « Victorieux »), dont un exemplaire en français du Contrat social, de Jean-Jacques Rousseau, annoté de sa main. Mustafa Kemal (1881-1938) revendiquait l’héritage des Lumières et de la Révolution. Sa République, inspirée du modèle jacobin, se proclamait laïque, même si la laïcité à la turque n’a pas grand-chose à voir avec son modèle. Il s’agit d’un contrôle de l’Etat sur la religion assez semblable à celui du modèle concordataire de Napoléon et non d’une séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ajouté dans la première Constitution républicaine en 1937, le mot y figure toujours.
« La hargne et la haine que montre Recep Tayyip Erdogan à l’encontre de la France est à la mesure de l’estime qu’avait pour elle Mustafa Kemal », rappelle l’orientaliste Gilles Kepel. L’actuel président turc entretient une relation compliquée avec la figure du fondateur de la République. S’il reste fasciné par l’homme qui forgea la nation, il hait celui qui déposa le sultan, supprima le califat, changea l’alphabet. Après dix-huit ans de pouvoir et fort d’un contrôle quasi total de son parti, le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur), Recep Tayyip Erdogan ne cache pas sa volonté de tourner la page du kémalisme.Lire aussi: Cent ans après, la revanche d’Erdogan sur le traité de Sèvres
Quand le « Reis », comme l’appellent ses partisans, invective son homologue français, Emmanuel Macron, l’incitant « à faire des examens de santé mentale » après ses propos contre le « séparatisme islamiste », ou encore appelle au boycottage des produits tricolores, Recep Tayyip Erdogan cherche, selon les mots de Jean-François Pérouse, auteur, avec Nicolas Cheviron, d’Erdogan.