Malgré tout le président al Sissi continue son projet de nouvelle capitale « Sissi City ».

L’Égypte vient d’obtenir in extremis une rallonge de près de 5 milliards d’euros pour éviter la faillite, mais c’est au prix d’une hausse historique des taux d’intérêts décidée par la banque centrale égyptienne et une dévaluation de 38% de la monnaie.

Les mesures d’urgence pour éviter la faillite du pays ont immédiatement frappé de plein fouet la population égyptienne. Alors que les deux tiers vivent déjà en dessous du seuil de pauvreté, les Égyptiens sont asphyxiés, encore plus qu’hier, et tout cela à la veille des festivités du ramadan. Concrètement, cela veut dire qu’il est impossible aujourd’hui pour une famille de s’alimenter correctement, même en gagnant deux salaires minimum, à peu près 10 000 livres par mois, l’équivalent de 180 euros.

Les finances du pays sont momentanément sauvées mais les risques de révolte persistent. La crise économique égyptienne est profonde et structurelle. Cela fait des années que le pays s’endette, que l’inflation ne descend pas en dessous des 35%. Les autorités savent qu’elles ne peuvent plus compter sur les trois sources historiques de revenus pour le pays – le canal de Suez, le tourisme et l’argent envoyé par la diaspora – car deux de ces piliers se sont effondrés ces dernières années. La crise du Covid et la guerre en Ukraine ont ravagé le secteur du tourisme. Avant la guerre, 40% des étrangers qui visitaient l’Égypte étaient ukrainiens ou russes. Pour le canal de Suez, depuis le début de l’année, les recettes de l’État ont chuté de 50% à cause des attaques houthies en mer Rouge.

Une désillusion pour le président et ses rêves pharaoniques

C’est un très mauvais départ pour le 3e mandat du président al Sissi et surtout une immense désillusion. Les rêves d’Abdel Fattah pour développer le pays étaient sans limites. Ses rêves se heurtent désormais à la réalité, notamment celui de la construction de « Sissi City », cette nouvelle capitale administrative dans le désert, à l’est du Caire. C’était jusque-là l’objectif prioritaire d’al Sissi, quoi qu’il en coûte au pays : « Si le prix du progrès et de la prospérité du pays doit nous priver d’eau ou de nourriture comme les autres, alors nous aurons soif et nous aurons faim », disait-il le 30 septembre dernier, devant une assemblée de responsables politiques et d’hommes d’affaires égyptiens. Il défendait alors son projet de nouvelle capitale, dont le coût, estimé à 53 milliards d’euros, ne cesse d’être réévalué à la hausse.

Dans un pays au bord de la banqueroute, un tel projet pharaonique paraît étonnant. Mais justement, le président pouvait ainsi se protéger des conséquences d’une éventuelle faillite du pays. C’est l’analyse que livre le politologue Maged Mandour au journaliste du Wall Street Journal « En s’installant dans le désert, ça lui permet de créer une distance entre lui et le centre du Caire, explique le politologue. Donc en cas de révolte quelque part, il serait en mesure de la réprimer sans que cela n’affecte le pouvoir central, sans que ça le bloque. » Le président Al Sissi est donc engagé dans un contre-la-montre aujourd’hui pour finir sa forteresse dans le désert, avant l’éclatement d’une révolte sociale qui semble inévitable.

 Nathanaël Charbonnier