PREMIÈRE ÉDITION DES RENCONTRES ÉCONOMIQUES DE WASHINGTON DC

La première édition des Rencontres Économiques de Washington, à l’initiative conjointe du Cercle des économistes et de l’Ambassade de France aux États-Unis, avec l’implication personnelle et déterminante de S.E.M. l’Ambassadeur de France Philippe Etienne, a rassemblé des parlementaires, des responsables d’organismes internationaux (FMI, Banque mondiale, OMC…) et d’ONG, des hauts fonctionnaires, des économistes venus de France ou exerçant leur activité aux Etats-Unis, des journalistes, des étudiants avancés, etc. Au total, cette première édition organisée à La Maison Française, a réuni plus de 200 participants.

L’évolution de la mondialisation et les défis de la coopération internationale ont été au cœur des débats.

La succession mais aussi la conjugaison de plusieurs crises, chacune de nature systémique, donnent un tour exceptionnel à la situation actuelle : après la crise financière enclenchée en 2007-2008, la Covid-19 puis la guerre en Ukraine, avec pour toile de fond la crise climatique. D’où l’interruption brutale des chaînes de valeur au plan mondial, d’où le retour de l’inflation, la menace de récession voire de stagflation. Faut-il aller jusqu’à parler de « démondialisation » pour caractériser la tentation du repli sur soi, l’éclosion d’initiatives protectionnistes, le souci fort répandu de la souveraineté nationale, de la réindustrialisation et de la relocalisation d’industries stratégiques ? Il est clair que nous n’allons pas revenir à la configuration d’il y a trente ou quarante ans, que nous n’allons pas dérouler à l’envers le film de la mondialisation. Une bonne part du processus de mondialisation est irréversible, comme le sont les nouvelles technologies de l’information et de la communication. En fait, il s’agit plutôt d’une tendance à la fragmentation de l’économie mondiale qui touche non seulement le commerce mondial, mais aussi, dans une moindre mesure, les flux financiers.

Le débat sur l’IRA

C’est dans ce contexte qu’est lancé le débat sur l’IRA (Inflation Reduction Act). En adoptant ce texte, les Américains ont déjà provoqué des réactions en chaîne de la part de leurs principaux partenaires commerciaux, dont il est difficile de connaître aujourd’hui l’issue. Ce qui est sûr par contre, et démontré par les expériences passées, c’est que la généralisation du protectionnisme serait une configuration perdante pour tout le monde, y compris pour ceux qui auraient amorcé le processus. Les Rencontres Économiques de Washington ont fait ressortir plusieurs points importants.

D’abord, même si l’Europe n’était pas la cible n°1 de l’IRA (c’était clairement la Chine), elle n’en est pas moins directement affectée par ses conséquences, à savoir l’attractivité renforcée du territoire américain pour les entreprises non américaines. Plusieurs annonces significatives ont déjà été faites dans ce sens par des firmes européennes.

Ensuite, le signal donné par l’IRA comporte au moins un aspect positif pour tous : les Américains prennent enfin au sérieux la lutte contre le changement climatique !

Le risque d’escalade protectionniste ne peut être écarté. D’autant plus que l’OMC, chargée de faire respecter les règles du commerce mondial, est actuellement d’une grande faiblesse, pour des raisons à la fois indépendantes de sa volonté et à la fois complétement dépendantes de l’attitude de certains pays-membres. L’OMC est aujourd’hui victime d’un souci, par ailleurs louable, qu’elle s’est imposée : la recherche de l’improbable consensus…L’Europe quant à elle, moins naïve que souvent, réagit face à l’IRA par le Chips Act[1] et par un nouvel assouplissement du régime des aides d’État. La stratégie est claire :  riposter aux subventions américaines et aux distorsions de concurrence qu’elles engendrent par des subventions européennes et d’autres distorsions. Avec en toile de fond un vrai sujet : à trop jouer des aides d’État, par hypothèse différenciées selon les secteurs voire les entreprises et donc selon les pays-membres, l’Europe ne va-t-elle pas remettre en cause le noyau dur de son être que constitue le marché unique ? N’y aura-t-il pas à arbitrer entre les considérations externes et internes de la réponse européenne face à l’IRA ? Un certain nombre de pays-membres – les pays scandinaves, les Pays-Bas… – sont d’ailleurs fort réticents à l’extension des aides d’État, car ils y voient des avantages indus donnés aux grands pays (Allemagne et France tout spécialement).

La Chine de son côté réagit à sa façon même si, à court terme, il lui faut d’abord se préoccuper des conséquences humanitaires et sanitaires de sa réouverture au monde. Le scénario non coopératif qui prévaut en ce moment est loin d’être achevé. L’OMC aura-t-elle les moyens de s’y opposer ? Pour les raisons évoquées, om peut en douter. Il serait grand temps de repenser le fonctionnement et les pouvoirs de l’OMC.

On a souvent tendance à aborder la question commerciale en focalisant sur les Etats-Unis, la Chine et l’Europe. Pourtant, les pays émergents et ceux des pays en développement qui n’émergent pas sont directement exposés aux effets de l’IRA, et aux conséquences des ripostes des autres pays avancés. Ce point a été souligné lors des Rencontres de Washington. Seule la faiblesse persistante de la gouvernance mondiale, en particulier du G20, évite d’aborder cette question qui fâche…

La convergence des points de vues

On ne peut séparer la dynamique de l’économie mondiale des perspectives de croissance et d’inflation. Récession ou pas ? Les toutes récentes prévisions du FMI tempèrent les scénarios les plus sombres. Les Rencontres Économiques de Washington ont éclairé, le débat et une convergence de points de vues apparaît sur plusieurs points :

1 – Récession ou pas, la croissance mondiale sera en 2023 en retrait de celle de 2022, parce que beaucoup de pays et de zones seront dans cette situation. La Chine fera sous cet angle-là figure d’exception. Dans nombre de pays, l’année 2023 devrait être contrastée, avec un premier semestre compliqué avant un rebond attendu au second semestre.

2 – L’inflation va demeurer à des niveaux élevés en 2023, sans s’emballer (sauf nouveau choc énergétique ou alimentaire, très difficile à prévoir, et sauf enclenchement d’une boucle prix/salaires). Les banques centrales n’ont pas fini de resserrer leur politique, alors que les politiques budgétaires et fiscales vont à court terme demeurer globalement accommodantes. Il existe d’ailleurs un large accord pour ne pas modifier l’objectif d’inflation des banques centrales des pays avancés : revenir à 2% par an à moyen terme dès que les chocs énergétiques et alimentaires auront été dissipés. Tout relâchement du côté des politiques monétaires pourrait donner lieu à des spéculations hasardeuses ; il aurait plus d’inconvénients que d’avantages.

3 – Même si les taux courts et longs n’ont pas fini de monter, les taux d’intérêt réels vont rester négatifs pendant un certain temps, voire même un temps certain (deux à trois ans ?).

4 – Les pays émergents ont déjà encaissé les effets du resserrement monétaire dans les pays avancés : fuites des capitaux, attaques contre les monnaies, hausses induites des taux d’intérêt, etc. Des effets qui semblent s’atténuer dans la période récente. Les Rencontres Économiques de Washington ont d’ailleurs évoqué un sujet abordé par le Cercle des économistes depuis deux ans : la redistribution d’une part des DTS (Droits de tirages spéciaux) nouvellement crées, des pays avancés vers les pays du Sud. Pour l’instant, l’Afrique attend toujours, la France pousse, le Sénat américain bloque (mais il n’est pas le seul…). Un enjeu essentiel qui va bien au-delà des aspects purement financiers avec une issue malheureusement incertaine à ce jour.

Au terme de cette première édition des Rencontres Économiques de Washington, tous les intervenants et participants ont émis le souhait que l’événement soit conforté et pérennisé. Du côté du Cercle des économistes, il nous faut donc déjà réfléchir avec nos partenaires une deuxième seconde édition pour 2024.