Dans l’interview qu’il a donnée à L’Orient-Le Jour, le 3 août dernier, le président Macron a rappelé les atouts du Liban, à savoir son capital humain et ses talents, sa diversité et son histoire, qui peuvent « lui permettre de jouer un rôle de modèle et de stabilité pour la région, s’il accepte maintenant de refonder de fond en comble son modèle économique et financier » et « d’aider à bâtir des ponts entre les pays, à résorber des crises, à favoriser la stabilité… ».
Cette analyse du président français me conforte dans mes positions et dans les propositions que j’avance : regarder la réalité de la crise en face, parler entre nous, réformer le Liban sur les plans économique et financier, mais également institutionnel et politique, ne pas importer les conflits de la région sur notre territoire national. Ce n’est qu’ainsi que « le Liban pourra progressivement se défaire des influences étrangères ».
C’est le sens même de la neutralité positive et permanente reconnue internationalement que je préconise depuis longtemps. Si un pays comme Oman a pu proclamer sa neutralité positive et jouer un rôle de médiateur entre les États-Unis et l’Iran, pourquoi pas le Liban ? Si un pays comme le Turkménistan a pu faire reconnaître sa neutralité permanente par les Nations unies, pourquoi pas le Liban ?
Pour réaliser ce véritable projet, nous devons sortir de l’« inaptocratie » dans laquelle nous baignons, dans cette paresse intellectuelle qui fait que certains politiciens rejettent la faute de notre paralysie sur les autres, en l’occurrence sur la France qui, d’après Emmanuel Macron, ne cherche pas à être le tuteur du Liban mais à l’accompagner.
Notre formule politique ne fonctionne plus. Nous avons voulu bâtir un modèle de coexistence, mais nous l’avons fait sur un mensonge (un prétendu mariage d’amour), et nous faisons face à différents problèmes. Les armes du Hezbollah en sont un, comme celles des Palestiniens et d’autres groupuscules armés. Concernant l’armement du parti de Dieu, certains attendent que les États-Unis et la France lancent une guerre contre l’Iran, s’imaginant que nous sommes le centre de l’univers et des attentions de puissances régionales et internationales. C’est à nous qu’il incombe de proposer des solutions comme, par exemple, la mise en place d’une garde nationale sur le modèle suédois, et la proclamation et la reconnaissance de la neutralité positive. Nous devrions concentrer nos efforts sur ce dernier point, au lieu de critiquer la France sur sa politique d’ouverture vis-à-vis du Hezbollah. Nous sommes un « failed state », un État défaillant : comment osons-nous faire la morale aux autres pays et leur donner des leçons ?
Nous sommes enlisés dans un système politique lamentable dont le président français a souligné, à juste titre, « la force d’inertie ». Il est temps de nous comporter en nation adulte et de sortir de cet enlisement.
C’est ainsi que nous trouverons des solutions concrètes et pourrons les exécuter, en demandant, le cas échéant, le soutien des Nations unies pour reconnaître la neutralité positive et permanente du Liban, une aide financière du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, etc.
Depuis la création de l’État du Grand-Liban, nous avons un problème de fond : la lutte pour le pouvoir entre les différentes communautés. Au lieu de le résoudre, nous n’avons cessé de nous chercher des tuteurs : en 1920, nous avons remplacé l’Empire ottoman par la France. En 1943, nous avons remplacé la France par la Grande-Bretagne et les Arabes. En 1958, nous avons remplacé la Grande-Bretagne par les États-Unis. En 1990, les États-Unis et les Arabes ont confié le Liban à la Syrie. En 2005, les États-Unis et les Arabes n’ont plus voulu de la Syrie mais l’Iran a pris le relais.
Tout cela a été rendu possible car nous avons laissé toutes ces puissances agir à leur guise ou, pire, nous leur avons demandé d’intervenir de la sorte. Dès lors, nous devons cesser de nous plaindre, car nous méritons ce sort que nous avons induit. La souveraineté nationale appartient au peuple libanais, comme Emmanuel Macron a eu le bon goût de le rappeler ; une évidence que nous avons trop tendance à oublier.
« Il faut nous aider à vous aider » martèlent le président français et les amis de notre pays. Pour cela, nous devons engager les réformes sérieuses attendues par la communauté internationale. Pour ma part, je suis prêt à le faire : je souhaite transformer le Liban, le réformer. Je veux libérer les Libanais de la mentalité ottomane qui les opprime et qui empêche l’unification et le développement du Liban, et l’édification d’un État fort et moderne.
Au Liban, comme en Irak d’ailleurs, la démocratie parlementaire et un pouvoir exécutif collégial associés à la mentalité ottomane favorisent le féodalisme, le clientélisme, le népotisme, l’instabilité gouvernementale, l’anarchie, les allégeances étrangères, la corruption et un système « ploutocratique » qui ne permet qu’aux plus riches de remporter les élections législatives. Depuis des décennies, ce système est entre les mains de la même « polyarchie » de factions politico-confessionnelles qui, par essence, n’est pas engagée en faveur du développement économique du Liban, ni dans l’édification d’un État fort et moderne, mais s’évertue à conserver ses propres intérêts.
Il est impératif d’en finir avec ce système mortifère en redonnant le pouvoir exécutif au président de la République (qui l’exercerait avec le Conseil des ministres) comme le proposait en 1984 l’ancien Premier ministre Rachid Karamé. Pour ce faire, une seule solution : rompre avec Taëf qui a instauré la troïka présidentielle, paralysant ainsi le pouvoir.