NICOLAS SARKIS LANCE UN PAVE DANS LA « MARE NOSTRUM »

WP1-Orient le JourRégime d’exploitation hybride, décrets non encore parus, sociétés fictives, opacité sur la propriété de nos hydrocarbures – NICOLAS SARKIS LANCE UN PAVE DANS LA « MARE NOSTRUM » : Gare à la « maladie hollandaise » prévient l’expert pétrolier libanais

TONY1899 copyA la tribune – de D à G : M.Nicolas Sarkis, M. Gaby Tamer, Président de la CCF, M. Nicolas Abou Chahine, Secrétaire général de la CCFL. Crédit photo : Tony El Hage

A l’invitation de la Chambre de commerce franco-libanaise, le Dr Nicolas Sarkis, un des experts pétroliers les plus cotés, a donné à Paris une conférence sur le pétrole et le gaz au Liban, leurs potentialités, leurs chances de réussite et les risques encourus.

Exposé clair et hautement professionnel de deux heures devant  un public français et libanais averti qui a pourtant découvert des aspects inédits de ce qui devrait porter le pays du cèdre au « top five »des producteurs exportateurs de pétrole et de gaz naturel dans la zone

Richesses naturelles découvertes et exploitées depuis quelques années par des pays est-méditerranéens les perspectives de concrétisation de ce rêve au Liban se sont éloignées, a affirmé le conférencier, en raison de facteurs externes et internes tels que le différend territorial libano-israélien portant sur la délimitation des frontières maritimes et aussi du fait de la chute brutale des prix du pétrole et du gaz.

Mais pour le Dr Sarkis, le plus grave est la non approbation jusqu’ici de deux projets de décrets d’application indispensables pour l’amorce de négociations et la conclusion d’accords d’exploration et de production avec les sociétés internationales  capables d’investir pour extraire les hydrocarbures repérées au large de la côte libanaise à une profondeur allant de 1500 à 2000 mètres.

Autre motif d’inquiétude : ces décrets d’application, qui se font attendre sans raison apparente, auraient permis, au-delà de la délimitation des blocs dont on parle si souvent, de proposer aux partenaires étrangers  et négocier avec eux le modèle de contrat exploration/production le plus avantageux pour nos ressources naturelles nationales du reste non encore mentionnées en tant que telles dans les textes portant  création d’un organisme national pétrolier.

En termes de valeur, le conférencier indique ce qui suit : « En supposant la découverte au large de nos côtes de réserves comparables au total des deux grands gisements israéliens, le Liban pourrait espérer une production gazière   d’une valeur  de 400 à 450 milliards de dollars aux prix qui prévalaient avant le brusque retournement, forcément temporaire, du marché mondial en 2014. Sur ce total et à partir des études de rentabilité entreprises  en Israël pour les deux gisements dénommés « Leviathan » et « Tamar » – et après déduction des coûts et de la part des sociétés opératrices –  le Liban pourrait espérer des revenus situés entre 150 et 200 milliards de dollars. Ces chiffres ne sont que des points de repère destinés à fixer un ordre de grandeur, la réalité  pouvant être bien en deçà ou bien au-delà selon les réserves découvertes, l’évolution du marché, les conditions du régime d’exploitation, etc… »

On imagine dès lors l’impact extraordinaire de ces revenus sur l’économie du pays et qui sont hors normes par rapport à ses indicateurs économiques actuels.

Anomalies du régime d’exploitation

Le conférencier a estimé que les possibilités d’exploitation des potentialités libanaises en pétrole et surtout en gaz naturel auraient dû déclencher depuis un bon moment des études permettant l’élaboration d’une stratégie nationale à long terme visant à optimiser les retombées d’une industrie aussi importante que celle des hydrocarbures et à éviter ce que l’on appelle dans le jargon professionnel «La maladie hollandaise » dont les principaux effets sont l’argent l’attrait de l’argent facile, l’inflation,  le recul des activités économiques traditionnelles  au profit d’une part prépondérante du pétrole et du gaz et plus grave encore : la corruption déjà solidement implantée dans notre pays.

Le travail impliquait un vaste dialogue national associant les autorités publiques (pouvoirs législatif et exécutif, société civile, médias, universités, centres de recherches etc…*

Au lieu de cela, souligne le Dr Sarkis,  les préparatifs se sont limités à la promulgation en août 2010 de la loi 132/2010 sur l’exploitation des ressources pétrolières en mer, seul texte législatif voté jusqu’ici par l’Assemblée, un texte réduit à sa plus simple expression et qui ne comporte aucun chiffre, se contentant de rappeler des principes généraux  et prévoyant la création d’une « Lebanese Petroleum Administration » bénéficiant d’exemptions et de garanties uniques dans leur genre.

Placée, comme on le sait, sous la tutelle du ministre de l’Energie, cet organisme a en fait contribué à l’élaboration de plusieurs décrets d’application de la loi de 2010 dont les fameux projets de décrets non encore approuvés par le gouvernement. Il reste que des observations formulées par le comité ministériel chargé d’examiner ces deux projets de décret ont permis d’en améliorer certaines dispositions laissant quelques anomalies cruciales dont voici quelques exemples :

  • Le régime d’exploitation basé, il est vrai, sur le choix naturel du système de partage de la production (Production sharing agreement, P.S.A.) qui a succédé à l’ancienne formule de concessions aboli dans les années 1970. Choix adéquat pour un pays sans expérience en la matière qui concilie la volonté des pays concernés de devenir maîtres de leur industrie pétrolière avec la nécessité de bénéficier de l’expérience, de la technologie et des investissements des sociétés pétrolières internationales.
  • Le grand avantage de ce régime repose sur le principe de base accordant les droits exclusifs à ces sociétés à leurs risques et périls. En cas de découverte la production devant être partagée avec le pays hôte sur la base d’un pourcentage convenu au préalable et à des conditions qui assurent un équilibre en matière d’intérêt des deux parties.

Mais aussi surprenant que cela puisse paraître, explique le conférencier, le projet de décret d’application pris sur le modèle des accords exploration/production ignore totalement le régime (PSA, Production sharing agreement) prévu par la loi

et le remplace par un régime bâtard appelé contrat de « partage des profits » qui n’existe nulle part au monde. La différence fondamentale entre ce nouveau concept sui generis et le PSA réside dans le double fait qu’il exclut une participation automatique et directe de l’Etat et que le droit de propriété du pétrole et du gaz au Liban ne revient pas à l’Etat mais à la société opératrice, tout comme l’ancien régime des concessions. D’où, neutralisation du rôle de l’Etat mentionné dans l’article 5 du projet de décret – heureusement non encore approuvé – qui stipule  que « L’Etat ne prendra pas de participation au cours du premier round d’attribution de droits d’exploration/production… »

Quarante six  entreprises « pré-qualifiées »

Autre anomalie gravissime : la pré-qualification de sociétés fictives. Quarante six entreprises considérées officiellement comme étant pré- qualifiées par le ministre de l’Energie pour conclure des accords d’exploration/production. Des sociétés créées juste quelques semaines auparavant et qui n’existent que sur le papier. Exemple : une de ces sociétés avait été enregistrée à Hong Kong sous des prête-noms avec un capital de 10000 dollars de ce pays, c’est-à-dire  environ 1290 dollars US.

Autant de scandales annoncés qui s’accompagnent de dispositions fiscales et financières outrageusement défavorables dont la fixation à 30 pour cent minimum  pour la part des profits revenant à l’Etat et d’un maximum de 65 pour cent par an. Contre un taux de 50 pour cent généralement fixé sous le régime (PSA).

Aux termes de ces dispositions conclut Nicolas Sarkis, le Liban ne pourra espérer, au mieux, la moitié des profits nets des sociétés opératrices, à savoir, pour le gaz, une redevance à un taux misérable de 4 pour cent (soit moins que le quart du taux standard de 12,5 pour cent pratiqué dans le monde). Le tout sur fond d’impôt sur les sociétés incroyablement bas, c’est-à-dire 15 pour cent.

Dans ces conditions, les revenus de l’Etat s’élèveront au total à 45 à 47 pour cent alors que ce taux est de 70 à 90 pour cent dans les dizaines de pays qui pratiquent le régime classique de partage de la production. De plus, on parle de « partage de profits », ce qui est encore plus abusif que les pourcentages que permettait l’ancien système des concessions, abandonné depuis près d’un demi-siècle.

Opacité inédite

En l’absence d’un dialogue national qui aurait permis l’adoption d’une politique pétrolière et gazière conforme aux intérêts du pays, on peut lire dans l’article 35 du modèle d’accord proposé que les textes sont soumis à la règle de la confidentialité, soit un secret total imposé sur les dispositions des accord prévus. Avec tous les abus et les pratiques de corruption que cela peut entraîner.

Le brillant exposé du Dr Sarkis conclut en soulignant un « besoin absolu » d’une société pétrolière nationale, malgré les fausses craintes d’une mauvaise gouvernance. Il s’agit en fait – et cela n’est un secret pour personne – de favoriser au moyen de marges anormales un « partage équitable du gâteau » entre les forces qui ont la haute main sur le pays et ses richesses.

public

Pour terminer, le conférencier a suggéré que la France aide le Liban pour régler son litige territorial avec Israël. On sait que l’Etat hébreu et le Liban ont tracé des lignes différentes pour délimiter les eaux territoriales et les zones d’intérêt économique limitrophes. Du fait de l’amitié franco-libanaise et des relations cordiales entre Paris et Tel-Aviv, le Dr Sarkis estime que la France peut nous aider par une médiation  basée sur les lois en vigueur.