LES FISSURES DU POUVOIR DE POUTINE

Par Renaud Girard pour Le Figaro

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Renaud Girard. Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro

Après vingt-deux ans d’un pouvoir sans partage à la tête de la Russie, Vladimir Poutine ne semble plus totalement en phase avec la réalité. Vendredi 30 septembre, dans une cérémonie grandiose organisée sur la place Rouge à Moscou, le président russe célébrait l’annexion à la Russie de quatre régions (oblasts) ukrainiennes. Mais, au même moment, face à une offensive éclair ukrainienne, l’armée russe s’enfuyait de la ville de Lyman (20000 habitants avant la guerre), un nœud ferroviaire stratégique située dans l’oblast de Donetsk, l’un des quatre prétendument annexés. Dans les stratégies d’extension territoriale des empires, le contrôle précédait normalement l’annexion. Dans son allocution du 30 septembre, Poutine a innové, en inventant l’annexion sans contrôle…

Ce discours faisait également un large usage du biais rhétorique de l’inversion accusatoire. C’est une technique de manipulation psychologique, où l’on cherche à faire porter la responsabilité de ses propres erreurs à son adversaire, en l’accusant de les avoir commises. Il a présenté les Occidentaux comme les agresseurs de la Russie, alors que c’est lui qui déclencha une guerre d’agression, non provoquée, contre l’Ukraine, le 24 février 2022. Personne n’a jamais cru que la nation ukrainienne représentait la moindre menace militaire pour la nation russe. 

Quant aux Occidentaux, ils avaient certes étendu l’Otan (en contradiction avec leurs engagements verbaux à Gorbatchev) et sanctionné la Russie après son annexion de la Crimée en 2014. Mais ils avaient continué à investir en Russie et à commercer avec elle. A l’été 2021, la chancelière allemande, quittant le pouvoir, était venue dire au revoir au président russe à Moscou. Pour sa rencontre avec Vladimir Poutine à Genève le 16 juin 2021, le président américain Joe Biden était arrivé avec un gros cadeau: son acceptation du nouveau gazoduc North Stream 2, reliant directement, via la Baltique, le territoire russe au territoire allemand. La réalité est que Poutine avait hissé la Russie à une situation stratégique et économique enviable, qu’il a ruinée le 24 février 2022, par son coup de poker irrationnel – et raté – contre le gouvernement de Kiev.

Aujourd’hui, seule sanction occidentale efficace, la Russie n’a plus accès à la technologie occidentale, laquelle était indispensable à son appareil productif. Avec cette guerre, la Russie s’est tiré une balle dans le pied. Et aujourd’hui, en matière de technologie, elle est devenue sujette au bon vouloir des Chinois. 

Quand on n’a pas été capable de bien moderniser son armée et son industrie, le premier devoir d’un dirigeant est de s’en rendre compte. Et le second est d’éviter de se lancer dans l’invasion militaire d’un pays voisin, qui plus est équipé et entraîné depuis huit ans par les services britanniques et américains.

De manière générale, quand on s’apprête à prendre une décision stratégique importante, la moindre des choses est d’effectuer un bilan coûts-avantages de l’opération projetée. Il semble que ce bilan n’ait pas été fait par Poutine, et que le président russe ait omis de préparer un plan B cohérent en cas d’échec de son armée dans la soumission de l’armée ukrainienne.

Le pire, pour Poutine, est que les élites russes commencent à se rendre compte de tout cela. La confiance dans le grand chef est ébréchée. Le pouvoir de Poutine se fissure. Plus de 200000 jeunes hommes russes ont quitté la Russie pour échapper à la mobilisation des réservistes décrétée le 19 septembre 2022. Les services de sécurité n’ont pas pu ou pas osé fermer hermétiquement les frontières avec la Géorgie et le Kazakhstan. Dans les médias d’Etat russes, les journalistes évoquent désormais les revers de l’armée et parlent de guerre, et non plus seulement d’une « opération militaire spéciale », expression que le pouvoir poutinien avait pourtant rendue obligatoire. Le mensonge devient apparent, qui mine de l’intérieur les organes d’Etat. 

Les fissures militaires, sécuritaires, médiatiques du pouvoir russe préfigurent-elles son effondrement ? Militairement, en quoi 300000 réservistes peu entraînés et mal équipés seraient en mesure de retourner la situation sur le front ? 

Quant à un usage russe de l’arme atomique, il est tabou pour les alliés chinois et indien. Le Kremlin sait qu’une frappe nucléaire, même « tactique », déclencherait de lourdes représailles américaines, et une condamnation planétaire. 

Le risque reste cependant important d’une extension mondiale de ce conflit, au départ régional. La France a donc raison de maintenir un dialogue avec la Russie, afin d’éviter de nouveaux dérapages.

Mais la sortie de crise est tout sauf évidente. Comment Poutine pourrait-il assumer ses échecs militaires sans que ne roule sa tête ? Dans l’histoire, on a rarement vu un régime autoritaire survivre à une défaite militaire.