Depuis la réouverture des salles obscures en Arabie saoudite en 2018, le prince héritier Mohammed ben Salman a fait du cinéma un outil de « soft power ». L’avantage est double : vanter les atouts du royaume tout en relayant au second plan les graves atteintes aux libertés. Pour bâtir son industrie, Riyad mise sur l’étranger, et cela passe par la France.
C’est l’image que l’Arabie saoudite « moderne » veut renvoyer au monde. Dans un cinéma du XVe arrondissement de Paris, les lumières se rallument à la fin de la projection. Au pied de l’écran géant, cinq cinéastes saoudiens – deux hommes, trois femmes, âgés de 20 à 35 ans – se présentent au public. Ce lundi 13 mars, tous sont en France pour présenter leurs court-métrages à l’invitation de la Commission du film saoudien, le bras armé du ministère de la Culture. « J’ai pu compter sur la Commission du film saoudien, explique Khaled Zidan, 22 ans, réalisateur d’Othman. La nouvelle génération reçoit beaucoup de soutien dans notre pays : du gouvernement d’une part, mais aussi du secteur privé. Le fait d’être en France permet de développer des contacts avec des producteurs. C’est super pour nous de pouvoir collaborer avec les Français. »
L’un des représentants de l’industrie du cinéma en Arabie saoudite est ce soir-là occupé à échanger ses cartes de visite. « Nous sommes d’abord venus ici pour apprendre du savoir-faire français dans le développement du cinéma », explique Faisal Baltyuor, producteur, distributeur et PDG des studios Muvi. On noue aussi des contacts parce qu’on veut distribuer des films français en Arabie saoudite. Le royaume compte aujourd’hui 580 écrans et notre objectif est d’atteindre, d’ici à quatre à cinq ans, 2 000 écrans. On cherche donc à développer un plus gros marché : ça passe par la diffusion de films français, mais aussi par le développement de coproductions. »
Le prochain film de Maïwenn co-produit avec l’Arabie saoudite
En février, la fondation du Red Sea International Festival annonçait pour la première fois apporter un soutien financier à un film français. Une première. Jeanne du Barry, prochain long-métrage d’époque de la réalisatrice Maïwenn avec Johnny Depp dans le rôle de Louis XV, sera à l’affiche de l’ouverture du Festival de Cannes le 16 mai.
« Ça va appeler plein de producteurs français à aller taper à la chapelle de l’Arabie, estime le producteur français de films arabes Daniel Ziskind. J’en veux pour exemple le festival Red Sea, qui a eu lieu l’année dernière (décembre 2022). Il y avait une délégation française très impressionnante : dans la production, dans la distribution, dans la vente internationale… L’Arabie saoudite se dit aujourd’hui : « On va coproduire ou mettre de l’argent dans un film historique pour être à Cannes, pour aller sur tous les marchés ». C’est du « soft power ». »
Oubliez les condamnations à mort, les atteintes aux droits de l’homme ou à la liberté des femmes. L’Arabie saoudite se veut une terre de cinéma. Dans les spots du ministère de la Culture, le royaume vante ses atouts : des studios flambants neufs, des tarifs imbattables sur les coûts de tournage… Pour attirer les producteurs du monde entier, Mohammed Ben Salman voit grand et mise gros : dans le cadre du plan Vision 2030, pour préparer l’après-pétrole, Riyad annonçait en 2018 près de 60 millions d’euros d’investissement (64 milliards de dollars) dans la culture et le divertissement.
Quinze étudiants saoudiens en formation aux Gobelins
Pour bâtir cette industrie, le royaume mise sur sa jeunesse et construit des ponts avec la France. En 2018, la Commission du film saoudien du ministère de la Culture concluait un partenariat avec l’école des métiers du cinéma, la Fémis. Chaque été, de « jeunes aspirants réalisateurs du royaume d’Arabie saoudite » ont l’occasion de participer à la Femis Saudi Film Summer School : six semaines de cours intensifs à Paris avec des professionnels.
Autre première : depuis novembre 2022, la prestigieuse école d’animation des Gobelins accueille quinze Saoudiens. La formation de neuf mois, conçue sur mesure, est financée par MBC Academy, filiale du groupe d’audiovisuel saoudien. « Vous avez un peu tous les profils, explique Razahk Issaka, le formateur. Certains viennent du droit, d’autres ont fait de la vidéo, montage… On a même une psychologue et une pharmacienne ! Mon rôle est de leur apprendre les bases de l’animation, pour qu’ils atteignent le même niveau qu’un diplômé. Ça va de l’animation des objets à la mécanique du corps. »
Sur son écran, Ghada donne vie à un petit lapin rose. Cette Saoudienne de 28 ans rentrera cet été à Riyad avec ses acquis : « L’arrivée du cinéma en Arabie saoudite nous offre beaucoup d’opportunités. Des entreprises d’animation ouvrent, il y a des besoins de tournage sur place. Le pays investit sur l’avenir, c’est pour cela qu’on nous a envoyés ici. »
En retour, à l’image de la coopération entre la France et les Émirats arabes unis pour l’utilisation de la marque du Louvre à Abou Dhabi, plusieurs représentants saoudiens ont émis l’idée d’importer dans le royaume le nom « Gobelins ». L’école, pour le moment, n’a pas donné suite.