Le retard pris par le futur char franco-allemand inquiète le ministère des Armées

Le rapport mis en annexe du projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 confirme que les objectifs du programme SCORPION, qui vise notamment à remplacer les blindés de l’armée de Terre tout en mettant l’accent sur le combat collaboratif, seront atteints d’ici 2035, soit avec cinq ans de retard. Une décision que le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a dit assumer, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, ce 5 avril.

« Ce serait une faute terrible à l’égard de nos armées de réduire l’entraînement et l’activité des forces. Et entre l’activité et lisser le pogramme SCORPION sur deux années de plus, mon choix est fait, même si, politiquement, c’est nettement plus facile de l’inverse », a en effet affirmé M. Lecornu.

Ce décalage du programme SCORPION devrait aussi permettre à l’armée de Terre de renforcer sa capacité de feux à longue portée, avec l’acquisition de 26 lance-roquettes multiples [LRM], soit 17 de plus qu’actuellement [il ne resterait plus que 9 Lance-roquettes unitaires sur 13 dans son inventaire, ce qui suggère que deux autres exemplaires ont été livrés à l’Ukraine…].

Toujours est-il que, en 2030, avec ce décalage, l’armée de Terre comptera 200 engins blindés de reconnaissance et de combat [EBRC] Jaguar sur 300 et 1345 véhicules blindés multi-rôles [VBMR] Griffon sur 1818. La situation du blindé Serval est particulière puisque si l’on considère le programme « Véhicule léger tactique polyvalent protégé », 1060 exemplaires doivent être livrés, en plus des 978 prévus au titre de Scorpion.

Enfin, et selon le rapport annexé, 160 chars Leclerc seront portés au standard XLR en 2030, sur les 200 annoncés. Normalement, et si l’on s’en tient aux prévisions faites il y a près de six ans, son successeur, issu du programme franco-allemand MGCS [Main Ground Combat System ou Système principal de combat terrestre], devrait être mis en service en 2035.

Or, si le Système de combat aérien du futur [SCAF], également mené dans le cadre d’une coopération avec l’Allemagne [et aussi avec l’Espagne], a enfin pu passer à l’étape suivant après des mois de discussions entre Dassault Aviation et Airbus, ce n’est pas le cas du MGCS, qui n’a pas encore dépassé la phase d’étude d’achitecture dite « SADS Part 1 ».

Initialement, la conduite de ce projet, assurée par Berlin, n’aurait pas dû poser de problème dans la mesure où le français Nexter et l’allemand Krauss-Maffei Wegmann [KMW] s’était associés à cette fin en créant la co-entreprise KNDS. Mais l’arrivé d’un troisième acteur, en l’occurrence Rheinmetall, a bousculé les équilibres.

Si les relations entre KMW et Rheinmetall sont plutôt fraîches, le quotidien Les Échos a récemment expliqué que l’industrie d’outre-Rhin est convaincue « d’avoir toutes les compétences nécessaires » pour réaliser le MGCS seule. Et la « guerre en Ukraine a conforté le sentiment que le français Nexter serait finalement le loup entré dans la bergerie allemande pour s’arroger son savoir-faire », écrit-il dans son édition du 20 mars dernier.

Enfin, cela vaut plutôt pour Rheinmetall qui, avec son nouveau char KF-51 « Panther », tente de torpiller le programme franco-allemand.

Reste que, même si les études se pousuivent dans le cadre de la phase SADS Part 1, le MGCS est embourbé et que l’horloge tourne. Et, à Paris, on commence à s’en inquiéter, comme l’a confié M. Lecornu aux députés.

« Je vois le programme [MGCS] prendre du retard et ça m’inquiéte. Je le dis devant vous avec beaucoup d’humilité, a-t-il dit, en répondant au député [RN] Christian Girard, lequel venait d’affirmer que l’industrie allemande cherchait à tirer de ces coopérations un « maximum d’avantages commerciaux ». « Ce que vous avez dit sur le MGCS, je ne le réfute pas complétement », a ajouté le ministre.

La semaine passée, dans les pages des Échos, M. Lecornu a indiqué qu’il rencontrerait prochainement son homologue allemand, Boris Pistorius, puour tenter de débloquer ce dossier. « Nous aurons besoin temporellement de la capacité qui succédera au char Leclerc […] entre 2035 et 2040. Il y a des enjeux de convergence technologique : je souhaite que le besoin militaire soit la base du cahier des charges industrielles, et non l’inverse. KNDS, entreprise franco-allemande, doit jouer un rôle central dans l’avenir du char de combat », a-t-il ajouté.