Le Qatar est entré dimanche comme partenaire avec le Français TotalEnergies et l’Italien Eni dans le consortium qui doit démarrer l’exploration d’hydrocarbures dans un bloc maritime au large du sud du Liban, à la limite avec Israël. L’annonce intervient alors que Beyrouth avait signé en octobre 2022 un accord délimitant ses frontières avec l’Etat hébreux, malgré le conflit toujours en cours entre les deux voisins
C’est un accord crucial pour le Liban, confronté à sa pire chute économique depuis des décennies, ainsi que pour le règlement des différends sur ses frontières maritimes avec Israël. Une étape qui permet à Beyrouth d’entamer l’exploration dans le champ gazier potentiel de Cana, dont une partie se situe dans les eaux territoriales de l’Etat hébreux, malgré la guerre entre les deux pays.
En effet, le Qatar a annoncé dimanche son entrée comme partenaire du Français TotalEnergies et de l’Italien Eni dans le consortium qui doit enclencher l’exploration d’hydrocarbures dans un bloc maritime au large du sud du Liban, à la limite avec Israël. Via sa compagnie pétrolière nationale QatarEnergy, la péninsule arabique remplace ainsi le russe Novatek, qui s’était retiré en 2022, et va détenir 30% des parts (contre 35% pour TotalEnergies et 35% pour Eni), a indiqué le Premier ministre libanais, Najib Mikati, avant la cérémonie de signature ce dimanche.
Accord sur les frontières maritimes entre le Liban et Israël
Cette annonce intervient après une percée majeure dans le différend sur les frontières maritimes entre le Liban et Israël, à la suite suite de la médiation des États-Unis. En effet, le 27 octobre dernier, les deux voisins toujours en état de guerre depuis la création d’Israël en 1948, ont signé un accord historique fixant leurs frontières en Méditerranée. Avant celui-ci, aucun des deux pays n’était en mesure d’exploiter les ressources naturelles de la région en raison d’un désaccord sur l’emplacement de la frontière. Le Hezbollah, le puissant groupe militant et politique au Liban, menaçait même d’attaquer Israël s’il extrayait du gaz avant un accord.
La situation a donc évolué : dans le cadre de l’accord négocié par les États-Unis, Israël a ainsi obtenu tous les droits sur le gisement gazier off-shore de Karish, tandis que les droits du Liban sur un autre gisement gazier, baptisé Cana, ont été reconnus. Et ce n’est pas tout : Beyrouth a accepté que certains revenus potentiels de Cana, dont une partie se trouve dans les eaux israéliennes, aillent en Israël. A terme, Israël sera rémunéré par la firme exploitant Cana « pour ses droits sur d’éventuels gisements », selon le texte de l’accord, le gouvernement israélien estimant sa part à environ 17%.
Campagne d’exploration
De quoi « donner un nouvel élan à l’exploration du potentiel d’hydrocarbures dans le pays », s’est félicité le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné. Avec ce nouveau consortium, l’objectif serait de réaliser, « dès que possible en 2023 », le forage du puits Cana. Concrètement, le Liban a divisé la zone économique exclusive en mer en dix blocs et le bloc 9, où se trouve Cana, faisait partie de la zone contestée avec Israël avant l’accord d’octobre. Le consortium est également chargé d’exploiter le bloc 4, face au littoral du centre du Liban, où l’exploration n’a pas abouti à la découverte de quantités commerciales.
Dans cette optique, TotalEnergies et Eni avaient déjà signé un accord-cadre avec Israël en novembre dernier pour lancer la prospection. Avec cette nouvelle étape, le consortium va désormais pouvoir explorer un « prospect déjà identifié qui pourrait s’étendre à la fois dans le bloc 9 et dans les eaux israéliennes au sud de la frontière maritime récemment établie », selon le groupe français. Dans le détail, la prospection devrait se terminer « dans les 12 prochains mois », a souligné dimanche Patrick Pouyanné. La découverte de gaz pourrait ainsi être annoncée à ce moment. Le potentiel gisement de Cana a déjà été mis en évidence par des analyses sismiques de la roche et devra être confirmé par cette campagne d’exploration.
Infrastructure inexistante
Cependant, les analystes s’accordent à dire qu’il faudra plusieurs années à Beyrouth avant d’entrer dans la phase d’exploitation en cas de découverte commerciale.
« Le problème est qu’il faut une infrastructure pour exporter le gaz, actuellement inexistante. Et si le gaz est utilisé pour la consommation locale du Liban », où les centrales sont quasiment à l’arrêt en raison de la crise économique, « il faudra construire un pipeline côtier pour alimenter ces centrales », affirme à l’AFP l’expert en énergie Naji Abi Aad.
De son côté, Israël a déjà commencé l’extraction du gaz, et en livre à ses voisins jordanien et égyptien. En juin dernier, il a signé un accord pour la liquéfaction de son gaz en Egypte en vue de son acheminement par bateau à l’Europe.
Influence grandissante du Qatar
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Ce nouveau partenariat élargit la collaboration entre TotalEnergies et QatarEnergy dans le domaine de l’exploration et porte à neuf le nombre de pays dans lesquels les deux entreprises sont partenaires. Lors d’une conférence de presse, le ministre qatari a estimé que l’entrée de son pays dans le consortium constituait « une occasion de soutenir le développement au Liban en ces circonstances difficiles ». Mais la péninsule y trouve évidemment son intérêt :
« Cette participation est une nouvelle étape dans l’expansion par le Qatar de sa domination internationale sur le gaz naturel, avec la guerre russo-ukrainienne, mais aussi dans l’intérêt international croissant à mener davantage d’exploration dans la région méditerranéenne pour compenser les perturbations du gaz, en particulier en Europe », selon Laura Sayah, professeure adjointe à l’Université libanaise, citée par Doha News.
De fait, avec la réduction des livraisons de gaz par Vladimir Poutine, le Qatar, pionnier du modèle de livraison de gaz naturel liquéfié (GNL) à volume élevé, à faibles coûts et à long terme pour de nombreux clients asiatiques, vient depuis plusieurs mois au secours de l’Europe, jusqu’alors piégée par sa dépendance extrême à la Russie. Au point que le pays a repris en avril dernier sa place de premier exportateur mondial de GNL, devant les Etats-Unis et leur abondant gaz de schiste, selon les données de S&P Global Commodity Insights. Dans un monde aux injonctions contradictoires, l’appel en 2021 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) à renoncer immédiatement à tout nouveau projet d’extraction de pétrole ou de gaz pour limiter le réchauffement climatique à +1,5°C semble en tout cas ne pas résister aux intérêts économiques et politiques.