Le Festival des Musiques Sacrées du Monde à Fès, porté par « La Fondation Esprit de Fès » par Lydie Léa Chaize

Depuis des siècles les hommes, dénommés anciens bâtisseurs  ont su construire des édifices majestueux, tels que pyramides, synagogues, temples hindouistes et bouddhistes, cathédrales, mosquées,…., grâce à leur connaissance de la dynamique des formes (entre Terre et Ciel). Leur sensibilité à l’égard  des forces telluriques et leur sens aigu de l’observation rendaient favorable l’orientation et par voie de conséquence  l’édification de ces lieux de recueillement et de prières pour les croyants. D’où ce nom d’Architecture Sacrée, de Géométrie sacrée, « d’Art Royal », inspiré du nombre d’or, cher à Pythagore, appelée souvent  « la divine proportion ».

L’homme de VITRUVE, créé par Léonard de Vinci, n’est-il pas à l’image de l’architecture sacrée ? Léonard de Vinci, ce génie, fut lui-même inspiré par Vitruve, architecte romain qui disait : « Pour qu’un bâtiment soit beau, il doit posséder une symétrie et des proportions parfaites comme celles qu’on trouve dans la nature ».  C’est dans cet esprit que ce festival, interrompu pendant de 2 ans (pour cause de pandémie), a choisi, pour sa 26 ème édition, le thème suivant : « L’Architecture et le Sacré ».

Chaque soir, à 21 h, la somptueuse Porte Bab Al Makina, bâtie en 1886 sous le règne de Moulay Al Hassan, les fortifications et les murs séculaires des cours extérieures de l’ancien  Palais royal ont servi de décor à des projections d’images d’une éclatante beauté, offrant un écrin à une scène immense où se sont succédés des artistes de renom international.

Sous l’égide de la princesse Lalla Hasnaa, la soirée d’ouverture du festival donne le ton, sur le thème « Voix et Géométrie Sacrées ».

Dès lors, une symphonie de couleurs  s’offre à nous. Les rosaces médiévales, symboles d’éternité, s’illuminent  dans un éclatement de lumière, elles  tournent et tournent tandis que l’antique horloge hydraulique « La Bouinaniyya » de Fès évoque le temps qui passe…..Puis, les chefs d’œuvre des cinq grandes religions du monde, le Judaïsme, le Christianisme, l’Islam, l’Hindouisme et le Bouddhisme défilent, donnant tout l’éclat de leur splendeur à la Synagogue Aben Danan de Fès, à la Cathédrale Notre-Dame de Paris, au Taj Mahal,…à la Mosquée Hassan II de Casablanca  en hommage au Roi Hassan II, initiateur de ce festival en 1994.

Pour accompagner ce dévoilement architectural de toute beauté, les voix et les chants sacrés du Maroc, les poèmes bouddhistes de Milarepa s’élèvent sous une nuit étoilée, tandis que les danseuses et danseurs virevoltent dans une danse spirituelle « le Kathak » , au son du qawwalî, genre musical soufi. Tout ce monde artistique, paré de bijoux magnifiques, de Caftans et Djellabas brodés aux couleurs chatoyantes, évolue dans une atmosphère féérique.

Un spectacle grandiose conçu par le talentueux Alain Weber, le spécialiste des manifestations de grande envergure. Sous la direction de Ramzi Aburedwan, chef d’orchestre, compositeur et arrangeur et pour les projections (dénommées le Mapping) Frank Marty, allumeur d’images.

La 2ème soirée, consacrée à la musique soufie de l’Inde du Nord, donne un aperçu de voix exceptionnelles, des voix venues d’un ailleurs ….qui chantent des louanges, des poèmes, des incantations,….Parmi les plus grandes voix soufies, on a pu entendre les Sœurs Roohani (The Roohani sisters) et leurs invitées : une autre grande voix Ariana Vafadari, mezzo-soprano, d’origine iranienne et une virtuose Naïssam Jalal, flûtiste d’origine syrienne.

Vous dire que la 3 ème soirée fut un tabac pour Ibrahim Maalouf et son groupe « Haïdouti Orkestar », est en deçà de la réalité. Nous avons assisté à un concert, hors normes, de voix délicieuses, de danses proches de la transe, de cuivres « rugissants », de percussions, saxophones, trombones, …

Un moment inédit avec Ibrahim Maalouf et « Haïdouti Orkestar »             

L’éloge du palmarès de Ibrahim  Maalouf , depuis plus de 15 ans, n’est plus à faire et ce festival a été l’occasion  d’assister à cette « dimension spirituelle de la fête » qui lui est propre, à sa passion pour son art mais aussi à son goût des autres. Il sait mettre en valeur chacun de ses musiciens venus de toute part : Afrique, Europe, Andalousie, Océan Indien, Moyen Orient,…. Brassage de musiciens dans un esprit d’ouverture, de tolérance et d’amour. En substance, écrit-il : « A l’origine, il y a des peuples qui se déplacent. ………Tout le temps partout et depuis toujours, ce sont les croisements  des peuples qui bâtissent les cultures de demain. Les musiques qui naissent de ces rencontres sont à la fois apaisantes, nostalgiques, festives mais aussi révoltées. Chaque thème, chaque mélodie, devient un hymne, un hymne aux déplacés, un hymne au temps, un hymne aux espaces « mouvants » et un hymne aux hommes qui se doivent de s’aimer malgré leurs différences ».  Que peut-on ajouter à ces mots si justes ? Si ce n’est que son talent n’a d’égal que sa générosité. Celle de nous avoir offert deux solos de trompette dont il a le secret, le secret d’un spectacle magique empreint d’une alchimie bienfaisante. Quel « sacré» talent !

La soirée de clôture du festival ne pouvait être que nostalgique. « Un hommage aux musiques traditionnelles, de Fès-Meknès à Oman ».

D’abord, avec l’ensemble Al Zawiya du Sultanat d’Oman dont la musique et  le chant glorifient l’amour et la paix. Pour terminer par l’orchestre de Fès dirigé par Mohamed Briouel, accompagné des chantres de Meknès. Musiciens et vocalistes  du sacré ont interprété une musique andalouse marocaine, issue « d’une symbiose culturelle au sein de l’Espagne musulmane ».

Bien évidemment, ce festival s’est déroulé également en journée dans bien d’autres lieux de cette étonnante ville qu’est Fès dont parlait déjà Ibn al Nahwî au XI ème siècle en ces termes : « Ô Fès, toutes les beautés de la terre sont réunies en toi… / De quelle bénédiction, de quels biens ne sont pas comblés ceux qui y résident ? / Est-ce ta fraîcheur que je respire, ou est-ce l’épanouissement de mon âme ? »

Des lieux pour la plupart, symboles d’une architecture aux justes proportions, en correspondance avec celles du cosmos. Tel le Palais Dar Abiye, du 18 ème siècle, situé au cœur de la Médina, où se sont produits des artistes corses  et sardes avec  leurs musiques et chants polyphoniques ; une artiste sénégalaise, la célèbre chanteuse Senny Camara s’accompagnant de la kora, un  instrument jusque-là réservé aux hommes… ; un ensemble Saniye Ismail d’Asie Centrale dont le répertoire canonique appelé onikki muqam est de traditions ancestrales ; traditions inscrites au patrimoine immatériel de l’UNESCO.

La soprano lyrique Marion Grande

Sans oublier la synagogue Aben Danan, du 12 ème siècle, transformée en musée et classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, où nous avons eu la chance d’entendre la belle voix de la soprano lyrique Marion Grande, qui accompagnait Michaël Lévinas au piano, sur les créations de celui-ci : des mélodies sur des  poèmes de Paul Celan, issues de son oratorio, la Passion selon Marc ainsi que des pièces de création, inspirées du kaddish de la tradition hébraïque.

Michaël Lévinas

Un récital de musique sacrée, dans un silence sidérant ! Notons que Michaël Lévinas (élu à l’Académie des Beaux Arts en 2009) est le fils du célèbre Emmanuel Lévinas, philosophe dont l’Ethique (en temps que relation du sujet à autrui) était l’une de ses préoccupations. Bon sang ne saurait mentir !

Dans un lieu plus frais !… le  Jardin Jnane Sbil, datant du 18 ème siècle et considéré comme le poumon vert de Fès, se sont produits :  l’ensemble « Al zawya », composé de jeunes chanteurs du Sultanat d’Oman, dans un répertoire de musique mystique et philanthropique et l’ensemble  « La Tempête »,  dans des répertoires de musiques classiques et de chants traditionnels d’Orient.

Par ailleurs, un forum a permis d’entendre des spécialistes en archéologie où  l’architecture dévoilait déjà sa sacralité.

Voilà un aperçu de ce festival qui, d’évidence, empreint d’émotions démontre la prégnance du dialogue des Cultures et des Religions. Des cœurs à l’unisson dans un même élan de ferveur et de paix. Quatre jours de bonheur qui nous ont éloignés du  bruit assourdissant du délire des hommes. Une aventure humaine hors du commun, des instants de grâce, reflets d’une incitation à une élévation spirituelle incomparable. Ne dit-on pas que la musique adoucit les mœurs ? Transportant les mots de continent en continent, pour parfaire cette harmonie universelle, ne pourrait-elle sauver le monde ?…

Un festival quasiment mythique, tant les artistes nous ont transmis leur souffle … C’est alors qu’une phrase de Rûmi (Djalâl ad-Din Rûmi) me revient : « L’Amour, c’est s’envoler vers le ciel, l’Amour c’est déchirer cent voiles à chaque souffle ».

Et je ne saurais terminer ce papier sans citer, en écho de ce festival, ces quelques  magnifiques vers, très œcuméniques, du célèbre poète soufi andalou Ibn’Arabi :    « Mon  cœur est devenu capable de toutes les formes,  une prairie pour les gazelles, un couvent pour les moines, un temple pour les idoles, une ka’ba pour le pèlerin, les tables de la Thora, le livre du Coran.  Je professe la religion de l’Amour et quelle que direction que prenne ma monture, l’Amour est ma religion et ma foi ».

A l’année prochaine ! Vous serez informés (es) en temps voulu.

Et comme diraient nos amis invitants : Inch Allah !


Fondation Esprit de Fès, Résidence Allal Ben Abdellah,                                                   

42 rue Elhari Ibn Heliza 30 000 FES

www.fesfestival.com / contact@espritdefes.com / 212 (0) 5 35 74 05 35