La France s’effondre, entraînera-t-elle l’Algérie dans sa chute ?

Dans unetribune du Figaro sous le titre alléchant de « L’Algérie s’effondre sous nos yeux, elle entraîne la France dans sa chute »,écrite pour augmenter l’audience de son dernier livre et qui fait tache, l’ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt,romptl’harmonieque les présidentsEmmanuel Macron et AbdelmadjidTebboune tententà grand-peine de maintenirentre leurs pays.Cette publication et la controverse qu’elle provoque sont parfaitementinopportunes : ce monsieur Driencourt est victime du syndrome de l’éboueur, mais à l’envers.

À la gestion de son poste éminemment sensible de représentant de la France en Algérie, il a préféré gérer sa carrière d’écrivain germanopratin : on imaginele contenu de notes dont il a dû bombarderles ministres des Affaires Étrangères qu’il a eus sous les présidences respectives de Nicolas Sarkozy et d’Emmanuel Macron (pendant sonpremier mandat).

Le plus gravede l’affaire n’est ni le déballage parisien ni ses remugles mais la défiance qu’il aura laissée derrière lui en Algérieà cause de l’impression donnée aux habitantsqu’ils ont été épiéscomme au théâtre par un pieping tom, sorte de voyeur anglais, entre la taupe bavarde et le SDF salace – et trahis par la France, qui les moquait.

J’aurais attendu d’un diplomatede souche, énarque de surcroît,ayantdroitqui plus est au prédicat d’Excellence, qu’il évitât précautionneusement tout tapagedans la grande presse– a fortiori un dérapage politiquement incorrect impliquant le rôle de l’ambassade qu’ilabandonnait pour la seconde fois– conçu pour faire de l’ouvrage dont il était l’auteurun succès de librairie ! Ce (haut) fonctionnaire éprouvait le besoin de relater son expérience, dixit sonéditeur (les Éditions de l’observatoire). Mais, pis encore, non seulementc’était un récidiviste, auto-délié de son devoir de réserve en 2015, mais il semble qu’il ait également abusé de son autorité administrative pour parvenir à ses fins.

On se pose en effet la question de savoir comment il a été possibleque le Quai d’Orsay n’ait pas perçu,pendant l’intermède de 2012 à 2017, le danger qu’il y avait de renvoyer (fait rare) l’ambassadeur Driencourt une seconde fois enAlgérie ? Je n’invente pas le résumé promotionnel du livre « Quatre nuances de France »co-signé par Xavier Driencourt et quediffusait alors(2015) l’Institut Français d’Alger Culturethèque: « A un moment où l’on déplore le fossé entre les élites et la plupart des Français, où l’ascenseur social est bloqué et où les idées xénophobes fleurissent, ce livre proposé par Rachid Arhab, arrive à point nommé. En effet, il fait dialoguer quatre voix qui n’ont pas l’habitude de se parler : un journaliste de renom, un diplomate ancien ambassadeur en Algérie, un Algérien sans papiers vivant en France et un fonctionnaire ayant la double nationalité. Question cruciale : comment envisager le vivre ensemble républicain français et son avenir entre Français de souche et Français issus de l’immigration algérienne ? »C’était, à Paris, déjà la marque duWokisme !Et dire que le livre bénéficiait d’une préface de Jean-Louis Debré et d’un avant-propos de Jean-Pierre Chevènement…  L’explication d’un tel mélange de genre dans ce beau linge est que ledirecteur général de l’administration du Quai d’Orsay (et chef de l’administration générale des affaires étrangères) était à ce moment précisl’ambassadeur Driencourt lui-même, et que personne n’était là – encore moins le ministre Le Drian, qui débarquaiten mai 2017 – pour soulever le pot aux roses et constater l’erreur sur la personne.

Il en est résulté,en 2022,une œuvre transie de sensationnalisme, « L’Énigme algérienne, chronique d’une ambassade à Alger »,un délire aujourd’hui aggravé par les circonstances, ce à quoi l’on ne peut plus rien, hormis dessanctions fort improbables !Le président de la République Française ne va pas demander « un pardon de plus » et le président de la République Algérienne sera« au-dessus de cela. »Et ce sera mieux ainsi ; et ce sera même une bonne chose.

Le fait de pouvoir observer les dysfonctionnementsdont il s’agit comporte deux avantages : le premier, parce qu’en France, après le titre accrocheur de la tribune du Figaro, la polémique incite à mieux s’informer sur l’Algérie contemporaine- aussi bien sur la France en Algérie et sur l’Algérie en France quesur les deux dans le monde– et à réfléchir sur lesfailles du système, sur les responsabilités et les enjeux.

Pour ce qui est de l’information, le travail d’un historiensérieux de l’Algérie comme Pierre Vermerensurvient fort à propos. Pource qui est de la réflexion, commençons par la vision, en ôtant délicatement la  poutre qui est dans l’œil de la France et qui va la paralysant de plus en plus chez elle comme à l’étranger : je recommanderai de suivre les premières leçons d’un autre ambassadeur, celui-là avec les pieds sur terre et la tête étant bien faite, Denis Bauchard, qui tirela sonnette d’alarme dans la revue Esprit . Sa mise en garde est aussi formelle que le titre de sa communication l’indique : « Le métier diplomatique en danger, du malaise à la contestation ». On y trouvera pas tout à fait le codemais sûrement l’une desclés de « l’Énigme française …»qui fait le pendant avec « l’Énigme algérienne… ».

Le second avantage de la stupeur accusée est que, par sa violence, la diatribe conduit à s’insurger, ce que je fais. Je sillonnais l’Algérie de fond en combleen réfléchissant sur notre avenir commun[ix] quand Xavier Driencourt n’avait pas encore l’âge de raison, précisément l’âgeà partir duquel on commence à percevoir,avec la différence entre le bien et le mal, ce qui fait l’ironie du temps long.Aussi, s’il me fallait résumer brièvement et brutalement la situation, je dirais, avecun effet de miroir étincelant,exactement l’inverse de ce que l’écrivailleur a voulu dire ! Non pour lui porter la contradiction au tournant d’une paraphrase, mais parce que je le pense: « La France est en train de s’effondrer sous nos yeux, au risque d’entraîner dans sa chute l’Algérie, sans doute plus fortement et subtilement que le drame algérien n’avait plongé en 1958 la France dans la décolonisation ».

De Gaulle voyait l’Algérie comme une boîte à chagrin ; il voyait en la France ungrand brûlé. Mais il pensait que la France resterait en Algérie, certes autrement, et que l’Algérie serait« en France », mais il ne savait pas encore comment ? C’était trop tôt, les plaques tectoniques bougeaient encore sous le manteau.

Que reste-t-il de ces braises, sinon des brûlures ! Au moment où l’Algérie pourrait tendre la main vers une autre qui s’offre, je songe à un autre geste, celui du retour après l’absence. Oubliez la presse muselée, les journalistes arrêtés ou privés de leur passeport,c’était pareil dans la France de1954 ! J’oserai dire qu’au fond,tout est resté en place « à la maison ».

Je pourrais en dire de bien pires sur l’état des lieux dans l’hexagone. La France dilapide ce qui lui reste de crédit. La France se détruit à petit feu. La France abdiquece qui lui restait de Liberté. Elle donne, elle ne reprend pas, elle ne se reprend pas non plus. Sa Justice n’est plus recommandable. Son système éducatif est délabré. Son armée, quoique courageuse, est famélique.Le socle nationalrisque de s’effondrer sous elle. Et si l’Algérie revenait pour la sauver !

Nous n’avons plus beaucoup d’attrait – il nous restequelquesbiens de famille, tout au plusnotrelangue maternelle et notre nomet notre garde-robe vintage– pourquoi voudriez-vous que l’Algérie – qui a quitté le toit, violant l’obligation de communauté, en partantavec son baluchon pour suivre sur un coup de têtele chemin de sa vie – revienne ?Sur un autre coup de tête, comme elle avait fugué.Ou même, parce qu’elle auraitsuffisamment bourlingué et qu’elle en aurait assez !Parce qu’elle n’aurait pas oublié que, quelque part, on l’attend ; et qu’elle est mélancolique (c’est à cela, rien que ça, que je me raccroche).

Pourvu que ce rêve (éveillé, comme woke)ne s’effondre pas sous le poids de cette « idiote affaire Driencourt »!

XH