LIBAN : Liban, la réforme ou la violence
par Fadi Daou, Recueilli par Marianne Meunier
À la suite de la double explosion qui a dévasté une partie de Beyrouth, la corruption est dénoncée. Comment des détournements de fonds peuvent-ils conduire à un tel drame ?
Cette explosion couronne, au sens le plus péjoratif, plusieurs décennies d’un égarement menant le Liban à la mort. Elle est le symbole extrême d’une corruption systémique, qui se manifeste sur trois plans. Le premier est le moins perceptible, mais la corruption y est la plus nocive : la gouvernance. Sur ce terrain, l’état de droit a reculé au profit de la force. Pour comprendre, il faut remonter à 1969 : le gouvernement libanais signe l’accord du Caire, qui permet aux groupes armés palestiniens engagés contre Israël d’établir leurs bases militaires au Liban. Avec cet accord, l’État libanais a renoncé au principe même de la gouvernance d’un État, à savoir le monopole de la force. Les groupes armés se sont répandus et ont fait la loi dans le pays, ce qui a entraîné la création d’autres milices.
Quel est le lien avec la situation actuelle au Liban ?
Les milices se sont organisées en partis politiques officiellement désarmés. Mais, d’une certaine manière, le scénario est identique car le Hezbollah, lui, s’arme de plus en plus en prétextant qu’il est un mouvement de résistance à Israël. Comme en 1969, l’État libanais a donc renoncé de facto à cette prérogative de la force, pourtant censée être exclusive. Mais cette fois-ci, c’est au profit du Hezbollah, qui est d’ailleurs au cœur du débat de l’explosion du 4 août. Il a en effet la mainmise sur une partie du port, l’autre partie étant sous le contrôle de l’État. Toute la question est donc de savoir si l’explosion a eu lieu dans la zone contrôlée par le Hezbollah. Celui-ci a également la mainmise sur les frontières. Comment, dans ces conditions, imposer un État de droit ?
Vous dites que la corruption est « systémique ». Elle n’est donc pas seulement le fait des élites…
En effet, outre le plan de la gouvernance, la corruption se manifeste sur le plan de la société. Le sens du conflit d’intérêts y est absent. Les autorités politiques peuvent faire des dons aux communautés religieuses en contrepartie de plus de soutien et de visibilité. Presque la moitié des banques sont détenues par des responsables politiques, à même de décider que l’État s’endette auprès desdites banques à des taux incroyablement élevés ! C’est ce qui a conduit à la faillite du pays.
Plus simplement, l’employé d’une organisation peut octroyer des contrats à sa famille, un religieux peut attribuer la réalisation de travaux dans son monastère à son oncle, son frère… LIRE LA SUITE
LIBAN LA REFORME OU LA VIOLENCE FADI DAOU LA CROIX 22-08-20 ]
Le père Fadi Daou est libanais et vit à Beyrouth au Liban.
Président et directeur général de la fondation Adyan. Professeur de théologie fondamentale et de géopolitique des religions. Titulaire d’un doctorat en théologie et d’un DEA en philosophie politique (Université de Strasbourg, France).
Après avoir dirigé l’Institut supérieur des sciences religieuses (USJ, Beyrouth), il enseigne aujourd’hui à la l’Université du Saint-Esprit (Kaslik), tout en étant professeur invité, membre académique et consultant de plusieurs institutions en Europe et dans le monde arabe.
Auteur de plusieurs études et livres, le dernier étant : L’hospitalité divine : l’autre dans le dialogue des théologies chrétienne et musulmane (coécrit avec Nayla Tabbara, Berlin, 2013) et publié en arabe (الرحابة الإلهيّة, Beyrouth, 2011). En 2012, il a dirigé la publication en arabe d’un volume consacré à l’éducation au vivre-ensemble : التربيّة على العيش المشترك في ظلّ المواطنة الحاضنة للتنوّع الدينيّ, al-Maktaba al-Būlisiyya, Beyrouth.
Dans le cadre de la fondation Adyan, et en partenariat avec le Ministère de l’éducation et du CRDP, il dirige le projet de réforme nationale de l’éducation à la citoyenneté et au vivre-ensemble.
Il a reçu le prix « Civilisation de l’amour » et avec la fondation Adyan plusieurs autres prix, parmi lesquels le « Prix de la paix civile au Liban » et le 2ᵉ prix mondial des Nations Unies de l’éducation à la paix dans un monde pluraliste.