BRUNO LE MAIRE, MINISTRE DES FINANCES, DRESSE LE BILAN ECONOMIQUE DE LA PRESIDENCE FRANCAISE DE L’U.E.

Le ministre des Finances, M. Bruno le Maire et son équipe.

Introduction de Bruno Le Maire lors du briefing presse de bilan de la PFUE dans les domaines économiques et financier.

 » Pour faire bref, à quoi est-ce qu’on mesure le succès d’une présidence ? On le mesure à des réalisations concrètes. On le mesure surtout au virage idéologique qu’une présidence peut engager. Et je considère que la présidence française est un succès, non seulement en raison des avancées concrètes, mais surtout en raison de ce virage idéologique que nous avons accéléré avec l’affirmation de la souveraineté européenne. Je crois que c’est ça la grande victoire de la présidence française du Conseil de l’Union européenne : l’affirmation de la souveraineté européenne. Elle est imparfaite, elle est incomplète, mais elle fait désormais l’objet d’un consensus. Et c’est pour ça qu’à mon sens, la présidence française restera dans l’histoire de la construction européenne. Elle y restera, pas simplement pour ses réalisations pratiques sur lesquelles je reviendrai, mais parce que nous avons gagné ce combat de la souveraineté européenne, et que désormais plus personne ne conteste la nécessité entre la Chine et les États-Unis d’affirmer, de défendre et de protéger la souveraineté européenne. C’est d’autant plus important que nous avons pris la présidence de l’Union dans un contexte particulièrement difficile.

D’abord, nous sortions, je le rappelle, de deux années de Covid, donc deux années de crise économique que j’avais comparée à 1929. Deux années au cours desquelles nous avions aussi adopté des mesures radicalement nouvelles. Je pense à l’endettement commun, qui est une rupture historique dans la construction européenne, et je pense aux plans de relance ambitieux qui ont été adoptés et mis en œuvre progressivement sous présidence française.

Deuxième élément exceptionnel, l’inflation est de retour en Europe. C’est évidemment un game changer économique radical. Et chacun sait que l’inflation n’est pas simplement un phénomène économique, elle est aussi en Europe un phénomène politique, et qui pèse dans les consciences politiques de chacun. L’inflation en Chine, l’inflation aux États-Unis, ce n’est pas la même chose que l’inflation en Europe. En Europe, l’inflation a toujours un caractère politique en raison de notre histoire. C’est un deuxième défi que nous avions à relever.

Enfin, troisième défi, et non des moindres, nous avons pris la présidence au moment où la guerre revenait sur le sol européen. Là aussi, je voudrais que chacun d’entre nous prenne la mesure de ce que cela signifie. Nous avons construit l’Europe pour la paix, et nous faisons face à la guerre. Tous ces éléments ont donc validé notre intuition fondamentale, la nécessité d’affirmer la souveraineté européenne. Le défi européen est un défi de souveraineté.

Partant de là, comment est-ce que tout cela s’est décliné sur le plan économique ? Cela s’est décliné autour de cette idée de souveraineté économique ou d’indépendance économique qui passe par deux principes que j’ai eu à cœur de défendre pendant les 6 mois ou j’ai eu l’honneur de présider le Conseil des ministres des Finances.

Ces deux principes, ce sont : l’investissement et la protection. Pour investir plus, investir dans l’innovation, investir dans l’industrie, investir dans les nouvelles technologies, y compris les technologies de rupture, il faut aussi protéger notre outil économique. Rien ne sert d’investir dans de l’acier décarboné si c’est pour importer de l’acier carboné à bas prix. Rien ne sert d’investir dans les batteries électriques ou dans les voitures électriques si c’est pour laisser rentrer des voitures électriques chinoises à 8 000 euros librement sur le sol européen. Je vous parle avec beaucoup de franchise. Donc, c’est cet équilibre qui construit l’indépendance, l’équilibre entre investissement et protection.

L’investissement d’abord, doit être favorisé par un environnement financier favorable. Je me suis beaucoup battu pour que nous progressions sur les financements de long terme, sur Solva 2 et sur l’Union bancaire. Nous avons obtenu des avancées très significatives sur la construction de l’Union de marchés de capitaux, sur les financements à long terme des entreprises et sur Solva 2 qui permet, comme vous le savez, de réviser des règles de pondération des investissements dans les actions de façon à ce que les assureurs soient incités à mieux financer l’économie française et l’économie européenne. J’ai appuyé avec beaucoup de détermination les efforts remarquables faits par Paschal Donohoe pour avancer dans l’Union bancaire. Nous avons commencé à enregistrer des premiers progrès sur l’Union bancaire, même si cela se heurte, comme vous le savez, à certaines résistances fortes. Mais il y a eu un déblocage au moins du processus sur l’union bancaire.

Financement de long terme, adoption des nouvelles règles sur Solva 2, progrès sur l’union bancaire, ce sont 3 éléments qui favorisent l’investissement dans l’innovation, l’investissement dans les entreprises et donc l’indépendance économique du continent européen.

Le deuxième élément d’indépendance, ce sont évidemment les PIIEC, nos fameux projets importants d’intérêt européen commun. Je rappelle que nous avions déjà, avec Peter Altmaier, l’ancien ministre de l’Économie allemand et ami proche, mis sur pied il y a 3 ans, un PIIEC sur les batteries électriques. Je dirais d’une certaine façon que Dieu soit loué, parce que c’est très bien d’avoir retenu 2035 comme date de bascule du thermique à l’électrique, parce que c’est un défi considérable, mais un beau défi. Mais ça ne tient que si vous avez des équipements pour construire des véhicules électriques. Sinon, ça veut dire que vous ne faites qu’importer des véhicules électriques d’Asie ou des États-Unis. Donc, nous avons eu cette intuition avec Peter Altmaier, il y a 3 ans, de mettre sur pied le premier PIIEC garantissant notre indépendance qui nous permet aujourd’hui d’avoir nos propres usines de production et d’investir aussi dans des batteries de nouvelle génération, ion, lithium solide. Je considère que ce PIIEC des batteries électriques, je suis revenu dessus parce que c’est probablement un des grands choix stratégiques industriels franco-allemands de la décennie et celui qui a ouvert ensuite d’autres coopérations. Nous avons mis 1,5 milliard d’euros sur ce PIIEC. Il a permis d’ouvrir dès cette année une usine à Douvrin, de 2 000 salariés. Sous présidence française, nous avons adopté 4 nouveaux PIIEC. Toujours dans cette logique de renforcer l’indépendance économique et industrielle de l’Europe.

D’abord un PIIEC sur les semi-conducteurs sur lequel je vais m’arrêter un instant parce que c’est un renversement historique qui, je crois, traduit bien cette idée de nouvelle souveraineté européenne dont je vous ai parlé. Il y a 30 ans, l’Europe était un des grands producteurs de semi-conducteurs. Elles produisaient à peu près un quart, un peu moins d’un quart des semi-conducteurs de la planète. Elle a ensuite délaissé cette industrie. Et nous sommes tombés à 10 %. Et les producteurs, vous les connaissez, c’est TSMC à Taïwan, c’est Samsung en Corée du Sud, c’est Intel aux États-Unis. Nous avons laissé la place aux autres. À la faveur de la relance économique et de la crise en Ukraine, nous nous sommes aperçus que nous étions totalement dépendants de ces semi-conducteurs et que c’était panique à bord. Panique chez les constructeurs automobiles obligés de mettre à l’arrêt ou sous cocon un certain nombre de leurs usines. Panique chez les entreprises productrices de cartes à puce.

Panique chez les constructeurs d’ordinateurs ou d’appareils portables. Il était donc indispensable de renforcer en priorité absolue l’indépendance européenne sur les semi-conducteurs. La France a mis de son côté 1,7 milliard d’euros, elle soutiendra 10 projets, dont le plus important, celui de STMicroelectronics à Crolles ou le projet de XFab qui vise à passer sa production de semi-conducteurs de 3 500 à 8 000 par semaine sur le site de Corbeil-Essonnes. Donc nous allons augmenter la production européenne de semi-conducteurs, avec l’objectif de revenir à 20% de production par rapport à la production mondiale, et nous allons surtout faire ce choix, qui a été affirmé par Thierry Breton à juste titre, de franchir la barrière du 10-11 nanomètres pour arriver au 5-7 nanomètres, c’est-à-dire les gravures les plus fines de la planète. Nous serons ainsi un des trois continents totalement indépendants sur la réalisation de semi-conducteurs d’une gravure inférieure à 5 nanomètres comme savent le faire uniquement le continent chinois et le continent américain aujourd’hui.

Deuxième PIIEC sur lequel je vais m’arrêter, parce qu’il est aussi illustratif de notre stratégie de souveraineté, c’est le PIIEC sur l’hydrogène : 3 milliards d’euros en France pour financer 15 projets, dont les piles à combustible avec Symbio, les véhicules utilitaires avec Hyvia, la fabrication de réservoirs avec Faurecia et Plastic Omnium, la production d’électrolyseurs avec quatre Gigafactory, dont McPhy qui créera 450 emplois à Belfort, la production d’hydrogène décarboné pour les industries à la mobilité lourde avec le projet d’Air Liquide que j’ai inauguré à Port-Jérôme il y a quelques mois. On pourrait donner les mêmes exemples en Allemagne, les mêmes exemples dans d’autres pays européens. Pourquoi ce PIIEC est-il fondamental ? Tout simplement parce que, là aussi, il garantit la souveraineté de l’Europe en matière de décarbonation et il l’affirme un modèle économique européen souverain et décarboné. Donc nous nous donnons les moyens industriels et les moyens technologiques de réussir l’affirmation européenne d’une économie totalement décarbonée, la seule de la planète et la première sur la planète. Je pense que tout cela est le prémice d’avancées importantes pour le continent européen.

Enfin, je cite les deux derniers PIIEC, celui sur le cloud qui garantit la sécurité de nos données, celui sur la santé pour développer des biothérapies avancées ou la production de médicaments essentiels. Là encore, tout cela est cohérent avec notre volonté de souveraineté. On ne peut pas être souverain et livrer ses données à des puissances étrangères. Les données sont aujourd’hui la matière économique la plus précieuse, il faut pouvoir la conserver et la mettre à l’abri des lois extraterritoriales.

C’est bien l’objet du cloud souverain.

Donc tous ces investissements n’ont en effet de sens que si nous garantissons aussi la protection de notre modèle économique décarboné. La protection, c’est le cloud qui permet de garantir que nous allons garder nos données, que nous ne les livrerons pas à tous nos concurrents industriels, à tous nos concurrents économiques. La protection, c’est la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières d’ici le 1ᵉʳ janvier 2023, qui est à mes yeux une des grandes victoires de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Ce mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, il rentabilise les investissements que nous faisons pour décarboner nos industries et décarboner nos moyens de transport et de construction. Il est vital pour des pans entiers de l’appareil économique et il est une des grandes victoires, je le redis, de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

J’y ajoute deux instruments qui me paraissent très importants sur le volet de la protection : l’instrument pour lutter contre la concurrence déloyale des pays qui octroient des subventions massives à leur industrie, instrument qui est maintenant bien cadré et qui devrait être développé sur un certain nombre d’applications concrètes dont l’industrie automobile ; et le règlement “International Procurement Instrument”, le règlement IPI, qui nous permet de faire levier sur les pays tiers pour les inciter à ouvrir leurs marchés publics aux entreprises européennes.

Il n’y a aucune raison que nous laissions ouverts nos marchés publics par exemple sur le ferroviaire à des puissances étrangères et que nous n’ayons pas nos accès à ces mêmes marchés publics dans ces mêmes puissances étrangères. C’est une question d’équilibre commercial auquel je suis attaché. Nous avons donc, avec ces trois instruments : mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, IPI et contrôle des subventions massives à l’industrie, mis sur pied tout un dispositif de protection qui rentabilise le dispositif d’investissement dont je vous ai parlé.

J’ajouterais, sur ce volet de souveraineté, un point essentiel évidemment dans le domaine numérique, avec les deux règlements DSA-DMA sur lesquels je ne reviens pas parce que vous les connaissez très bien, mais qui affirme aussi la singularité d’un modèle économique européen où tout n’est pas permis, tout n’est pas possible.

Il y a des règles sur les données, sur les informations, sur la diffusion de ces informations, et sur le respect des règles d’équité entre les grands distributeurs, les plateformes et les plus petites entreprises.

Deuxième série d’engagements qui ont marqué la présidence française du Conseil de l’Union européenne, au-delà de la souveraineté et de cet équilibre entre investissement et protection, c’est la réponse commune pour lutter contre l’inflation. Je considère que nos échanges ont permis entre ministres des Finances de définir les meilleurs instruments pour lutter contre l’inflation. Tous les instruments qui sont mis en place actuellement, que ce soient les boucliers énergétiques, l’aide aux ménages les plus modestes, ou les mesures qui sont prises sur les carburants sont cohérentes entre les États membres de l’Union européenne et permettent de lutter contre l’inflation. Nous nous sommes également accordés sur la nécessité pour les entreprises qui le peuvent d’augmenter les salaires. Tout cela nous permet de contenir l’inflation le mieux possible pour les mois qui viennent.

Enfin, dernier point de cette présidence, c’est évidemment la guerre en Ukraine, qui m’a amené à bousculer du jour pour le lendemain le conseil informel qui s’est tenu ici à Paris il y a quelques mois. Quelle était la responsabilité de l’ECOFIN ? C’était de déployer une batterie de sanctions dans les meilleurs délais possibles pour frapper les responsables russes. Cela nous a occupé pendant des semaines et des mois, cela nous a permis de geler 10 milliards d’euros d’avoirs d’oligarques et de responsables politiques russes, et d’infliger au pouvoir russe des difficultés économiques beaucoup plus importantes que ce que je peux lire ici ou là.

Je rappelle que la Russie a perdu près de 10 % de son PIB, que son investissement productif a chuté de 20 %, et que la Russie a une inflation supérieure à 15 %. Les sanctions sont donc efficaces. Les sanctions seront poursuivies. Et les sanctions ont été renforcées, notamment avec l’adoption du paquet sur le pétrole.

En regard de cela, nous avons également apporté un soutien financier à l’Ukraine de 4,1 milliards d’euros sous forme de soutien d’urgence financier et d’aide humanitaire. Et nous avons travaillé évidemment activement à trouver des réponses sur les questions énergétiques après la mise en place de l’embargo sur le pétrole russe.

Enfin, dernier point, au-delà de l’affirmation de la souveraineté économique, des mesures coordonnées contre l’inflation, de la réponse à la guerre en Ukraine, comme dans toutes les présidences, il y a des sujets sur lesquels nous n’avons pas pu aller au bout de nos ambitions. Ça fait partie du jeu, et il faut le prendre tel quel. Je pense en particulier à la taxation minimale sur l’impôt sur les sociétés que je porte depuis 5 ans. Je redis que je prends ce blocage avec philosophie pour une raison qui est très simple, c’est que chacun sait que l’ultime blocage de la Hongrie n’a absolument rien à voir avec la taxation minimale sur les sociétés. Nous allons donc passer le relais à la présidence tchèque, je ne lâcherai jamais sur ce sujet, et cette taxation minimale sera mise en place dans les mois qui viennent, avec ou sans le consentement de la Hongrie. Nous travaillons avec Paolo Gentiloni à des solutions alternatives qui permettraient aux États qui le souhaitent de mettre en place ce mécanisme de taxation minimale sans la Hongrie.

De manière plus générale, j’en conclue que l’Europe ne peut plus être otage du mauvais vouloir de certains de ses membres et que la meilleure façon de contourner le mauvais vouloir de certains de ses membres est d’éviter d’être prise en otage, c’est de passer le plus rapidement possible de l’unanimité à la majorité qualifiée sur les questions fiscales.

Quelles sont enfin les conclusions politiques générales que je tire de cette présidence française de l’Union européenne ?

La première, c’est que nous pouvons être fiers de notre modèle économique et social. Notre modèle économique et social n’a rien à voir avec le modèle chinois, mais rien à voir non plus avec le modèle américain. Il est protecteur, il est solidaire. Et dans les périodes d’effondrement de l’économie comme le Covid, ou de forte inflation, ce modèle est particulièrement protecteur et utile. Il nous a évité la brutalité des faillites, il nous a évité la brutalité du chômage de masse et nous avons montré que la solidarité européenne pouvait être efficace. Et je pense que cela a des conséquences politiques absolument majeures.

La deuxième conclusion que j’en tire, c’est que l’histoire industrielle de l’Europe n’est pas terminée. L’Europe a été le premier continent à porter la révolution industrielle au XIXᵉ siècle.

Nous devons être le premier à porter la révolution climatique au XXIᵉ siècle. Et cela fait une ambition politique formidable pour le continent européen. Porter la révolution climatique au XXIᵉ siècle et la porter avec des transformations technologiques majeures qui vont des satellites d’observation du climat, grâce à des lanceurs européens, jusqu’aux développements de l’hydrogène, en passant par une filière d’industrie automobile électrique allant des batteries jusqu’au recyclage de ses automobiles.

Enfin, troisième et dernière conclusion, le chacun pour soi est une faute et la solidarité est un bienfait. Un ensemble politique fait parfois de rivalités, d’oppositions entre les États membres et nous arrivons de plus en plus vers un ensemble politique reposant sur la solidarité. L’endettement commun en est une preuve, la réponse commune à la crise du Covid en est une autre, le travail que nous faisons aujourd’hui sur l’inflation en est un troisième exemple. Et je pense que de ce point de vue-là, c’est un progrès pour l’Union européenne que de comprendre que le chacun pour soi est une impasse et que la solidarité est une solution.

Enfin, toute dernière remarque. Quand vous regardez le paysage mondial actuel, que vous voyez la fermeture de l’espace chinois, de l’autre côté de la planète, la polarisation de la vie politique américaine, eh bien, il fait bon d’être européen. Et je crois de ce point de vue-là, que l’Europe peut être pour le reste de la planète, un espoir. C’est le message principal que je retire de cette présidence française de l’Union européenne, que j’ai été heureux et fier de présider comme ministre des Finances dans le cadre de l’Ecofin. »