Abus sexuels dans l’Eglise catholique de France par Carol Saba, avocat

Carol Saba
Carol Saba

Reconnaître la « responsabilité institutionnelle » de l’Eglise catholique, un pas courageux ou une diversion (juridique) ? Par Maître Carol SABA, Avocat au Barreau de Paris

Les évêques catholiques réunis à Lourdes ont reconnu le 5 novembre (Communiqué du « point d’étapes à mi-parcours »)

1) « la responsabilité institutionnelle de l’Eglise dans les violences qu’ont subies tant de personnes victimes »,

2) « la dimension systémique de ces violences »

et 3) donc l’existence « d’un devoir de justice et de réparation » qui en découle.

Quelle-est-elle, juridiquement, cette « responsabilité institutionnelle » au regard du droit français de la responsabilité qui implique une « obligation » (et non pas un « devoir ») de réparer le dommage causé à autrui ? Quels sont ses contours et ses conséquences sur les droits des personnes et leurs recours ? Quelles conséquences financières en découleraient ? Quel parcours de justice ? Quel respect des principes du contradictoire et des droits de la défense dans une instruction à venir qui ne doit pas être seulement à charge, mais à décharge aussi ? Quelle différence entre « responsabilité » et « responsabilisation » dans le parcours de la justice sociale dans une société, sachant que le droit de la responsabilité s’inscrit dans une éthique (sociale) de la responsabilité, selon les travaux de Max WEBER le père de la sociologie moderne ? Enfin, quelles conséquences de nature ecclésiologique seraient à venir sur la gouvernance de l’Eglise et son organisation pour donner suite à cette reconnaissance ?

Questions juridiques et ecclésiales épineuses, ce qui explique la réserve du porte-parole de l’Eglise catholique qui, interrogé sur les conséquences juridiques éventuelles d’une telle déclaration, a renvoyé à des travaux ultérieurs avec les avocats (« le but était d’établir la responsabilité de l’Église en tant qu’institution, ce n’est pas uniquement le fait d’individus isolés. Pour les conséquences juridiques précises, elles restent à travailler avec des juristes et des avocats. » extrait de l’Article de « Ouest France »).

Sur Radio Notre Dame, j’indiquais dernièrement que, après le temps du silence, puis le temps du dévoilement et du rapport, voici venu le temps, des décisions notamment sur la question épineuse de la nature juridique de la responsabilité de l’Eglise, qui n’est pas sans conséquences financières mais aussi en termes de « précédent », qui fonderait d’autres poursuites.

La commission SAUVE a marqué ses éléments de langage, bien réfléchis d’ailleurs. La recommandation 23 préconisait à l’Eglise de « reconnaitre pour l’ensemble de la période analysée par la commission, au-delà de la responsabilité civile et pénale pour faute des auteurs des agressions et, le cas échéant, des responsables de l’Eglise, la responsabilité civile et sociale de l’Eglise indépendamment de toute faute personnelle de ses responsables ».

Alors, responsabilité civile ou institutionnelle ? obligation d’indemnisation ou devoir de réparation ? Comment la « responsabilité institutionnelle » sera-t-elle traduite en droit et en recours, dans le cadre du droit français de la poursuite et de la réparation ? La reconnaissance de la « dimension systémique » exclue-t-elle la responsabilité « individuelle » des personnes impliquées, directement ou indirectement, dans les échelons de la gouvernance ecclésiale locale où les méfaits et les abus avaient été commis mais aussi au-delà dans les échelons hiérarchiques, s’il s’avère que les « agresseurs » avaient été couverts d’une manière ou d’une autre par des supérieurs en raison du « contexte global » auquel font référence les évêques dans leur communiqué ? In fine, quelle procédure pour respecter les principes fondamentaux des droits de la défense et du contradictoire puisque, selon un principe fondamental de notre bon droit français, « toute personne a droit à un procès équitable » ? L’avenir le dira. Il va sans dire que l’Eglise catholique de France s’engage ainsi sur un chemin de vérité et de guérison, qui est certes difficile et épineux mais n’est pas sans espérance !