ABSENCE DE COHÉRENCE FRANÇAISE AU LIBAN

Neutralité Liban Renaud Girard

Par Renaud Girard

Souvent, dans sa stratégie internationale, la France lance de louables initiatives. Mais, hélas, elle se montre aussi, fréquemment, incapable de bien les exécuter. Par un mélange d’oubli des rapports de force et de croyance naïve aux solutions providentielles, elle finit souvent par aboutir à un résultat contraire à ses espérances.

Cette absence de cohérence de la France entre sa stratégie et sa tactique est actuellement flagrante au Liban. Emu par l’explosion monumentale du port de Beyrouth d’août 2020, Emmanuel Macron a consenti, cette année-là, beaucoup d’efforts et de temps pour sortir le pays du Cèdre de son ornière politique et économique. Il s’est rendu à deux reprises à Beyrouth, suscitant l’enthousiasme des Libanais. Mais, depuis, leur situation politique et leur niveau de vie n’ont pas progressé d’un iota.

Stratégiquement, le président français a eu raison de s’investir sur ce dossier. D’abord parce que l’Etat du Liban est une création politique française, et qu’il est normal qu’une puissance arrose ce qu’elle a ensemencé. Ensuite parce que cette démocratie tolérante, où cohabitent chrétiens catholiques et orthodoxes, musulmans sunnites, chiites et druzes, doit être préservée, comme modèle de société pour l’ensemble du Moyen-Orient. Enfin, parce que la France est mieux placée que quiconque pour agir comme marraine d’un Liban régénéré. Mieux placée que l’Amérique, discréditée par le désastre que son ingérence militaire a provoqué en Irak. Mieux placée que l’Iran, dont le régime théocratique est à bout de souffle. Mieux placée que l’Arabie saoudite, occupée à pacifier ses relations avec son voisinage immédiat.

« Aide-toi, le ciel t’aidera », telle est en substance la stratégie française au Liban depuis la Conférence Cedre, tenue à Paris en avril 2018. Elle dit aux Libanais de faire des réformes (de leur système bancaire, de leur administration, de leur secteur énergétique) et qu’en échange la France débloquera pour eux des dons et des prêts auprès des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, Aide publique au développement de l’UE) et des pétromonarchies du Golfe. C’est une bonne stratégie. Elle est simple, claire et juste.

Le problème est que les chefs des grands partis libanais sont des féodaux communautaristes, incapables de sacrifier une miette de leur pouvoir et de leurs prédations sur l’autel des réformes. Cela fait six mois qu’ils ne parviennent pas à s’entendre sur le nom d’un nouveau président de la République, Michel Aoun ayant quitté le palais de Baabda le 30 octobre 2022. Le président, toujours un chrétien maronite selon l’usage constitutionnel, doit être élu à la majorité absolue des 128 députés du parlement libanais monocaméral. La difficulté est qu’il faut un quorum des 2/3 pour que l’élection soit valide. Seule une personnalité consensuelle est donc à même de se faire élire.

La France – à qui l’Amérique de Trump, puis de Biden, a tacitement confié la gestion occidentale du dossier libanais – répète à qui veut l’entendre que sa ligne demeure limpide et qu’elle ne réclame que trois choses : des réformes, un premier ministre réformiste, un président qui n’entrave pas les réformes. Depuis les accords de Taëf d’octobre 1989, à valeur constitutionnelle, c’est le premier ministre (toujours un sunnite) qui a la charge de conduire la politique de la nation, le pouvoir de nomination restant aux mains du président.

 
A leur grande surprise, les réformistes libanais ont appris que la France encourageait secrètement la candidature à la présidence de la République de Sleimane Frangié et demandait aux Saoudiens de convaincre en ce sens les députés sunnites libanais. Issu d’une vieille famille politique du nord du pays, Frangié est un féodal classique, totalement aligné sur l’axe Damas-Téhéran.

La France n’est-elle pas naïve de croire que, sous prétexte qu’il a son franc parler, Frangié respectera sa promesse d’encourager les réformes ? Depuis la fin des années 70, la Syrie et l’Iran n’ont fait qu’occuper, voler ou instrumentaliser le Liban pour satisfaire leurs propres intérêts. Ces deux pays ont déjà dans leur main le président du Parlement libanais. Maître des convocations et de l’ordre du jour, il détient un pouvoir de veto quasi absolu. Pourquoi vouloir leur donner aussi la présidence de la République (par qui passeront les nominations importantes des prochains premier ministre, directeur de la Banque centrale et chef d’état-major de l’armée) ? Ne faut-il pas profiter de la réconciliation irano-saoudienne pour obtenir un compromis sur une personnalité véritablement réformiste ?
 

Il n’est pas malsain que la France cherche un jour à ramener la Syrie et l’Iran dans l’arène des nations. Mais vouloir leur donner aujourd’hui les clés du Liban est totalement incohérent.