La relation France-Qatar à l’épreuve des crises du Moyen-Orient

Le Qatar et la France entretiennent des relations depuis la déclaration d’indépendance du pays en 1971 et l’ouverture croisée de représentations diplomatiques dès l’année suivante. La relation bilatérale s’est développée au début des années 1990, dans le domaine de la sécurité et des hydrocarbures. Présent au Qatar depuis 1936, Total Energies (ex-Total) est devenu très tôt l’un des principaux partenaires de Qatar Energies (ex-Qatar Petroleum) pour l’extraction et la valorisation des ressources en hydrocarbures du pays.

La volonté qatarienne de diversifier l’économie du pays et de réduire sa dépendance à la rente gazière a permis d’élargir le spectre de nos coopérations à de nombreux secteurs tels que le domaine militaire et de la sécurité (lutte contre le terrorisme et la radicalisation), le secteur économique et des investissements (infrastructures avec le métro de Doha ; aéronautique) mais aussi les domaines de la culture (avec Qatar Museums), de l’éducation et de l’enseignement supérieur (campus HEC Paris à Doha). Enfin, la France et le Qatar souhaitent renforcer leur coopération sur le sport et les grands enjeux mondiaux (climat, santé mondiale, développement et humanitaire, villes intelligentes et durables).

La relation diplomatique selon le Quai d’Orsay est excellente et nourrie : les consultations entre les autorités, et au plus haut niveau, sont régulières. Le Dialogue stratégique, mis en place en 2019, permet un suivi opérationnel des principaux projets structurant la relation bilatérale. La première édition co-présidée par les ministres des Affaires étrangères s’est tenue à Doha le 28 mars 2022, suivie d’une seconde session à Doha le 8 juin 2023.

Le Qatar et la France ont salué la tenue du second dialogue stratégique annuel et ont passé en revue les progrès significatif réalisés depuis la tenue du premier dialogue stratégique en mars 2022. Les deux pays ont souligné la force de leur relation bilatérale et ont réaffirmé leur détermination à développer son plein potentiel, en approfondissant la coopération dans tous les domaines d’intérêt commun et en identifiant des projets conjoints concrets afin d’approfondir davantage leur coopération stratégique.

Le président Macron a reçu le 27 février 2024, à l’Elysée, l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al-Thani, à l’Élysée alors que celui-ci débute une visite d’État de deux jours en France, centrée sur la libération des otages à Gaza et la relance du processus pour la création d’un État palestinien, ainsi que sur le renforcement de la relation bilatérale. avec à la clé un accord d’investissements qataris de 10 Md€ dans l’économie française d’ici 2030. Après l’achat de Rafale et d’hélicoptères, on parle aujourd’hui de futurs partenariats franco-qataris sur la transition énergétique, les semi-conducteurs, l’aérospatial, l’intelligence artificielle, le numérique, la santé, la culture.  Le président français sait comment et pourquoi cette petite monarchie du Golfe a su se rendre indispensable au plan international. Témoignage de leur solide partenariat, ce dialogue annuel a permis de passer en revue les relations bilatérales, les sujets régionaux et internationaux, le développement et l’aide humanitaire, la défense et la sécurité, le commerce, l’investissement, l’économie, l’éducation, la culture et la recherche scientifique, le changement climatique, l’énergie, l’environnement et les sports.

Coopération politique

Le Qatar et la France ont exprimé leur engagement à consolider leur partenariat stratégique à travers un dialogue continu et approfondi, fondé sur la confiance, sur toutes les problématiques clés permettant de répondre aux défis globaux. Les ministres ont souligné l’importance d’approfondir leur dialogue, leur diplomatie et leur coordination politique sur les crises touchant la sécurité régionale et internationale, et de promouvoir la paix, la sécurité et la prospérité.

Le premier ministre Cheikh Al Thani, et la ministre, Madame Colonna ont discuté des récents développements au Soudan, au Liban, en Syrie, en Libye, en Iran, en Afghanistan et au Tchad, et ont exploré les moyens d’approfondir davantage leur coordination dans ces régions. 

Le Qatar est très actif dans les règlements des conflits dans la région, on l’observe son rôle dans les crises, syrienne, libanaise, libyenne, yéménite et enfin dans la crise palestinienne. Concernant le processus de paix au Proche-Orient, ils ont réitéré leur engagement à parvenir à une solution à deux États sur la base de toutes les résolutions onusiennes pertinentes, fondée sur lignes de 1967 et avec Jérusalem comme capitale partagée par les deux États. Ils ont souligné l’urgence de mettre un terme à toutes les actions unilatérales, en particulier concernant l’expansion des colonies et l’importance de sauvegarder le statu quo historique sur tous les lieux saints à Jérusalem. Ils ont exprimé leur inquiétude face à la situation humanitaire, politique, économique et de sécurité dans la Bande de Gaza, et ont réaffirmé le rôle indispensable de l’UNRWA et la nécessité de le soutenir.

pourquoi la France compte sur le Qatar

La détention de neuf citoyens français par le Hamas met en lumière l’importance du rôle médiateur du Qatar dans le conflit israélo-palestinien. Avec une politique diplomatique multilatérale, l’émirat se positionne comme un négociateur clé tout en naviguant dans les eaux complexes des alliances internationales.

Dans la délicate situation du conflit opposant Israël et le Hamas, le Qatar se dessine comme un acteur principal dans les négociations pour la libération des otages, et en particulier français : au nombre de neuf, ils sont désormais la priorité numéro un des autorités françaises.

Mais pour intercéder auprès du Hamas, la France peut compter sur le Qatar. Récemment interrogé par TF1, Mohammed Al Khulaifi, le négociateur en chef du Qatar, a promis aux téléspectateurs français que les discussions pour libérer les franco-israéliens étaient bien en cours et qu’elles auraient lieu « jusqu’au dernier otage » .

Déjà les semaines précédentes, Doha avait facilité la libération de quatre otages détenus par le Hamas, deux citoyennes américaines et deux israéliennes, ouvrant ainsi une lueur d’espoir pour les ressortissants français toujours en détention. La réactivité des autorités françaises, qui ont contacté le négociateur qatari dès les premières heures du conflit, est révélatrice de la tension qui parcourt le Quai d’Orsay, le Ministère français des affaires étrangères.

Une « Doha dépendance » ?

Alors qu’en France, la politique du « en même temps » chère au Président Macron est de plus en plus critiquée sur le conflit en Palestine – les uns reprochant son soutien à Israël, les autres lui reprochant son absence à la marche contre l’antisémitisme organisée à Paris – la libération des otages devient une priorité politique pour l’Élysée.

Et le chef de l’État français compte bien miser sur les relations interpersonnelles étroites qu’il a noué avec l’émir du Qatar Cheikh Tamim Ben Hamed Al-Thani depuis son arrivée au pouvoir en France en 2017 pour obtenir une libération des otages qui renforcerait un crédit politique en perte de vitesse.

Cependant, la posture du Qatar dans ce conflit demeure complexe et difficile à comprendre chez certains observateurs. L’émirat est un allié des États-Unis, qui soutiennent Israël, et abrite une base majeure de l’US Army, la plus grande au Moyen-Orient. Cette alliance est d’autant plus mise en lumière avec la guerre à Gaza. Mais en parallèle, le Qatar héberge également le dirigeant du bureau politique du Hamas et il alimente Gaza depuis des années en aides humanitaire : alimentation, médicaments, éducation, et reconstruction des infrastructures vitales, le tout sous l’égide des Nations unies.

Le statut de médiateur du Qatar, dans son rôle de funambule de la géopolitique, s’avère être un canal de négociation indispensable pour la France. Doha est en train de réussir son pari en obtenant la libération de citoyens français et internationaux, le petit émirat changera de dimension… Surtout dans l’hexagone.

Par Saoud Al AHBABI

Colonel dans l’armée du Qatar et doctorant à l’Université de la Lumière, Lyon 2