
Sept fronts, zéro victoire.

Depuis près de deux ans, Israël mène ce que Netanyahu appelle une “guerre sur plusieurs fronts”. Cette guerre concerne, outre Gaza, le Liban, la Syrie, l’Irak, le Yémen, la Cisjordanie occupée et l’Iran. Dans l’une de ses interviews, le Premier ministre israélien a souligné qu’il se sent investi d’une “mission historique et spirituelle” et qu’il est “profondément attaché” au concept de la Terre promise et du Grand Israël. Ces propos confirment que cette “guerre sur plusieurs fronts” est motivée à la fois par des raisons religieuses et politiques.
Mais le danger réside en la croyance de Netanyahu et de la droite sioniste religieuse radicale que le monde doit être au bord d’une grande guerre “pour que le Messie apparaisse et le sauve”. Voilà pourquoi ils encouragent la poursuite et l’extension de la violence à Gaza, au Liban, en Iran et au-delà, considérant ce processus comme étant “l’ère du Messie”.
La guerre sur sept fronts
Le 9 octobre 2023, soit deux jours après l’opération Al-Aqsa Flood, le Premier ministre israélien a déclaré, lors d’une réunion avec les maires des villes frontalières du sud touchées par l’attaque du 7 octobre, que la réponse de Tel-Aviv à l’assaut sans précédent lancé par les combattants palestiniens depuis Gaza “va bouleverser le Moyen-Orient”. Cette déclaration a marqué le début d’une guerre qui n’allait pas se limiter à Gaza, mais s’étendre pour atteindre l’objectif principal d’Israël : un nouvel ordre régional où l’équilibre des pouvoirs profiterait à Tel-Aviv.
Les dirigeants israéliens ont affirmé à plusieurs reprises combattre simultanément sur sept fronts — Gaza, le Liban, la Syrie, l’Irak, le Yémen, la Cisjordanie occupée et l’Iran —, présentant tous ces conflits comme une seule et même guerre contre un “axe dirigé par l’Iran”, censé vouloir “détruire l’État juif”.
Pour y parvenir, Israël suit deux stratégies majeures : affaiblir ses ennemis et imposer par la force ses exigences aux autres États de la région, y compris aux alliés des États-Unis. Concernant la première approche, Israël a recours à des frappes militaires directes, qu’il présente comme des “guerres sur plusieurs fronts” sous un prétexte “défensif”.
La deuxième option, qui consiste à s’imposer par la force, a également été utilisée par Israël, qui a attaqué à plusieurs reprises la “nouvelle Syrie”, un État qui n’est plus hostile à Israël ni aux États-Unis, occupant une considérable partie de son territoire. Les déclarations positives de la Syrie envers Tel-Aviv n’ont pas dissuadé Israël, qui a persisté dans ses frappes et maintenu son occupation.
Par ailleurs, la récente attaque israélienne contre le Qatar, le 9 septembre, témoigne de la double approche de la politique israélienne. La première vise directement les dirigeants du Hamas, leur signifiant qu’ils ne seront nulle part en sécurité. La seconde envoie un message clair au Qatar et aux autres alliés des États-Unis dans la région : pour Israël, les relations ne sont pas fondées sur des intérêts communs, mais sur la peur des représailles. Les alliances fondées sur des intérêts mutuels sont une chose, l’obéissance imposée sous la menace en est une autre. C’est précisément le message que Trump cherche à faire passer aux États de la région : “Obéissez-moi, ou Israël s’en prendra à vous”. Cet avertissement s’adresse en réalité à tous les États de la région, sans exception.
Les États de la région doivent prendre conscience que c’est l’Axe de la résistance qui les a toujours protégés de l’agression israélo-américaine en maintenant un équilibre régional de dissuasion ces dernières années. Une fois cet axe affaibli, Israël s’est montré plus téméraire, multipliant attaques et provocations. Le Qatar, officiellement “allié majeur non membre de l’OTAN” des États-Unis par l’administration Biden depuis mars 2022, est un acteur clé de cette dynamique. Le Qatar abrite également la base aérienne d’Al-Udeid, bien plus qu’une simple base militaire, puisqu’elle sert de quartier général au Commandement central américain (CENTCOM) de la région. Elle constitue ainsi l’un des centres stratégiques cruciaux pour Washington dans le monde. Pourtant, rien de tout cela n’a empêché Tel-Aviv de l’attaquer.
Quel est le bilan d’Israël ?
Avant toute chose, clarifions la notion d’avantage stratégique. Dans le contexte des relations internationales, un avantage stratégique peut être défini comme la réalisation d’objectifs à long terme modifiant l’équilibre des pouvoirs, renforçant la sécurité de l’État ou étendant son influence sur la scène internationale. Elle se distingue des gains tactiques ou opérationnels à court terme, car elle “induit des changements dans les structures fondamentales d’interaction entre les États et les acteurs non étatiques”. En d’autres termes, un avantage stratégique vient consolider un intérêt durable dans l’arène géopolitique.
De ce point de vue, Israël n’a jusqu’à présent obtenu aucun avantage stratégique en Asie occidentale. Au contraire, il a accumulé ces deux dernières années une série de gains tactiques qu’il cherche à transformer en avantages stratégiques. À Gaza, Tel-Aviv n’a toujours pas éliminé le Hamas et, au Liban, le Hezbollah n’a pas non plus été démantelé, même si Israël est parvenu à affaiblir ces deux mouvements de résistance. En Iran, ses tentatives de changement de régime ou de dissuasion du soutien de Téhéran aux mouvements de résistance ont également échoué. Au Yémen, ses interventions n’ont pas empêché Sanaa de soutenir Gaza.
L’enjeu central de la bataille actuelle est donc d’empêcher Tel-Aviv de transformer ses gains tactiques en avantages stratégiques pérennes. Si Israël ne vient pas à bout de la résistance palestinienne, s’il ne parvient pas à isoler et à désarmer le Hezbollah au Liban, si l’Iran continue à soutenir les mouvements de résistance et le discours anti-hégémonique, et si le front de soutien yéménite tient bon, alors Tel-Aviv aura épuisé l’essentiel de sa capacité à imposer une nouvelle donne régionale, avec une supériorité de courte durée, le temps de neutraliser la résistance, dont la vulnérabilité et la viabilité douteuse ne seront que plus criantes à moyen et long terme.
L’issue de cette lutte dépendra en fin de compte de la capacité des adversaires de Tel-Aviv à surmonter les multiples défis créés par ses guerres en Asie occidentale. Soit les forces de résistance parviennent à contrecarrer les tentatives d’Israël de transformer ses acquis temporaires en avantage stratégique à long terme, soit Israël et les États-Unis tirent parti de ces gains tactiques pour imposer une nouvelle réalité stratégique qui serve leurs intérêts.
Quel est le prix payé par Israël pour ses “réalisations” actuelles ?
Dans un récent article intitulé “Israël mène une guerre perdue d’avance”, Ami Ayalon, ancien chef de la marine israélienne et ancien patron du Shin Bet, écrit :
“La voie actuellement suivie par Israël va compromettre les traités de paix existants avec l’Égypte et la Jordanie, aggraver les divisions internes et accentuer l’isolement international. Elle alimentera l’extrémisme dans toute la région, intensifiera la violence religieuse et nationaliste des groupes djihadistes mondiaux toujours prospères dans le chaos, affaiblira le soutien des décideurs politiques et des citoyens américains, et entraînera une montée de l’antisémitisme dans le monde entier”. Il conclut en affirmant que “la dissuasion militaire d’Israël a été rétablie, démontrant sa capacité à se défendre et à faire reculer ses ennemis. Mais la force seule ne peut démanteler le réseau de mandataires de l’Iran ni garantir une paix et une stabilité durables pour Israël pour les générations à venir”.
De plus, la responsabilité de la catastrophe humanitaire qui sévit à Gaza est désormais imputée à Israël plutôt qu’au Hamas. Tel-Aviv a longtemps cherché à présenter le Hamas comme le principal responsable de la difficile réalité humanitaire à Gaza. Cependant, l’agressivité illimitée d’Israël a mis à mal ce discours.
Une enquête du ministère israélien des Affaires étrangères, destinée à évaluer la réputation du pays dans le monde, a révélé que les personnes interrogées aux États-Unis, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Espagne et en France estiment que la majorité des civils tués à Gaza sont victimes d’Israël. Le sondage a également révélé que les Européens en particulier
“sont enclins à qualifier Israël d’État pratiquant le génocide et l’apartheid, malgré leur rejet du Hamas et de l’Iran”.
Par ailleurs, un récent sondage de l’université Quinnipiac a révélé que 37 % des électeurs américains soutiennent les Palestiniens, contre 36 % de sympathisants israéliens. Le danger de ces pourcentages tient au fait qu’ils montrent à quel point Israël a miné son image auprès de l’opinion publique occidentale, faisant du soutien à Tel-Aviv un enjeu clé des prochaines élections occidentales.
Neuf États ont officiellement reconnu l’État de Palestine l’année dernière, soit la plus forte augmentation annuelle depuis 2011 :
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Le nombre total de pays ayant reconnu l’État de Palestine est ainsi passé de 138 à 147 en 2024, signifiant que près des trois quarts des États membres de l’ONU (147 sur 193) reconnaissent désormais officiellement l’État de Palestine.
Trois des principaux alliés des États-Unis, à savoir la France, le Royaume-Uni et le Canada, ont annoncé leur intention de reconnaître un État palestinien, tandis que plusieurs autres envisagent de faire de même. Ce revirement marque un tournant historique et isole davantage Israël dans un contexte croissant d’inquiétude internationale face à la crise humanitaire à Gaza. Ces trois pays deviendraient les premiers membres du G7 à reconnaître officiellement un État palestinien, défiant ainsi ouvertement Israël. Si ces pays devaient concrétiser leur intention, les États-Unis seront le seul membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU à ne pas reconnaître la Palestine.
Une nouvelle doctrine militaire
Le 7 octobre a indubitablement marqué un tournant dans la stratégie militaire d’Israël. Depuis cette date, l’État hébreu a en effet abandonné pour la première fois l’approche militaire préconisée par David Ben Gourion, son premier Premier ministre. Les guerres éclair sont désormais moins prisées, récupérer les prisonniers n’est plus une priorité et le seuil acceptable de pertes humaines et matérielles au combat a considérablement augmenté. Cette évolution contraint tous les États de la région à adapter leurs stratégies pour faire face à la nouvelle doctrine militaire de Tel-Aviv.
Il est essentiel de rappeler que Ben Gourion a élaboré la doctrine militaire d’Israël au regard de ses réalités géographiques et démographiques. C’est peut-être ce qui a incité Gur Laish, colonel israélien à la retraite, ancien chef de la planification des opérations militaires dans l’armée de l’air israélienne et acteur clé de la planification stratégique de l’armée, à publier un article le 19 août au Begin-Sadat Center for Strategic Studies/Centre Begin-Sadat pour les études stratégiques. Il met en garde les dirigeants israéliens contre le risque d’adopter une nouvelle stratégie de sécurité outrepassant les limites du pouvoir d’Israël. Reste à savoir si Netanyahu parviendra à démontrer l’efficacité de sa nouvelle stratégie militaire, ou si renoncer à la doctrine Ben Gourion signera l’arrêt de mort de l’État hébreu.
*Source : The Cradle
Traduit parSpirit of Free Speech