
Dans une interview rare accordée à la RTS, l’ancien directeur du Mossad Tamir Pardo livre un constat sans détour sur la guerre à Gaza et l’état de la société israélienne. Deux ans après les attaques du 7 octobre 2023, il dénonce une guerre sans vision et alerte sur le danger qui menace Israël de l’intérieur.
Pendant plus de quarante ans, Tamir Pardo a vécu dans l’ombre, au cœur du renseignement israélien. Nommé directeur du Mossad en 2011 par Benjamin Netanyahu, il a dirigé l’un des services secrets les plus redoutés de la planète jusqu’en 2016. Aujourd’hui à la retraite, il est devenu l’un des critiques les plus virulents du Premier ministre.
Pour lui, la guerre à Gaza n’a plus de sens: une perte de temps, de vies, d’argent et d’avenir. Son analyse est implacable. « Nous avons été surpris à cause des nombreuses erreurs que nous avons commises. Nous en avons payé le prix. Et le moment où nous avons compris quel était ce prix, nous avons compris que nous devions mettre fin à la menace à Gaza », a-t-il souligné mardi dans l’émission Tout un monde de la RTS.
« Ils étaient prêts à se battre »
L’ancien patron du Mossad plaide pour un accord global, même sous la pression extérieure. « J’espère donc que Trump sera maintenant le leader [dans le cadre du projet de paix mis sur la table par le président américain, ndlr.]. Il a proposé la solution et il devra la vérifier avec les deux parties (…). Et Trump n’y parviendra qu’avec le marteau dans une main, avec son poing sur la table, pour s’assurer que les deux parties parviendront à un accord et mettront fin à ce désastre. »
On ne peut pas payer un groupe terroriste en espérant qu’il change de nature: cela n’arrivera jamais Tamir Pardo, ancien directeur du Mossad
Tamir Pardo rejette toutefois l’idée que cette guerre ait été une initiative israélienne. « Quand je regarde le résultat de la guerre à Gaza, et que j’essaie de me placer du point de vue des Européens, ils voient une catastrophe et ils ne la comprennent pas. Mais c’était exactement le plan de Sinwar (Yahya Sinwar, chef de la branche armée du Hamas, tué en octobre 2024 par l’armée israélienne, ndlr.) pour son propre peuple. Nous, nous étions prêts à arrêter la guerre (…) Eux ne le voulaient pas: ils étaient prêts à se battre jusqu’au dernier enfant, jusqu’à la dernière femme de Gaza. C’était, malheureusement, un piège, très réussi de leur point de vue », estime-t-il.
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Une solution politique
Interrogé sur le fiasco sécuritaire du 7 octobre, l’ancien directeur du Mossad dénonce les politiques menées depuis des années par Israël. « On n’achète pas la paix, il faut trouver une solution (…) On ne peut pas payer le chef du Hamas, on ne peut pas payer un groupe terroriste en espérant qu’il change de nature: cela n’arrivera jamais. » Il poursuit: « Dans le gouvernement israélien, et même dans l’armée et les services de sécurité, certains croyaient qu’on pouvait dissuader les terroristes. Mais il n’existe aucun moyen de les dissuader ».
Entre la Méditerranée et la vallée du Jourdain vivent 15 millions de personnes: 55% de Juifs et 45% de non-Juifs. Quelle est la solution pour ce morceau de terre? Il faut une solution politique Tamir Pardo, ancien directeur du Mossad
Deux ans après le début du conflit, Tamir Pardo estime qu’Israël se perd dans une guerre sans vision. « Entre la Méditerranée et la vallée du Jourdain vivent 15 millions de personnes: 55% de Juifs et 45% de non-Juifs. Quelle est la solution pour ce morceau de terre? Il faut une solution politique. Si la guerre reste la seule issue, ce ne sera que souffrance des deux côtés. »
L’ancien espion appelle à un sursaut de lucidité: « Au 21e siècle, nous devrions être un peu plus sages. Et en tant que ‘start-up nation’, nous devons trouver une véritable solution. Sinon, ce sera encore le bain de sang. Et ça, je ne peux pas l’accepter ».
Profonde fracture politique et sociale
En septembre 2023, Tamir Pardo avait déjà provoqué un tollé en qualifiant la situation en Cisjordanie d' »apartheid ». Deux ans plus tard, il assume pleinement ses propos. « En Cisjordanie vivent plus de deux millions de Palestiniens. […] Tant qu’ils n’auront pas les mêmes droits que leurs voisins, ils protesteront. Par des moyens pacifiques, ou malheureusement par les armes. […] S’ils obtiennent les mêmes droits que les Juifs, alors Israël ne sera plus un État juif. S’ils ne les obtiennent pas, il y aura du sang. Nous devons donc décider clairement: dans quel pays voulons-nous vivre? »
Nous avons besoin d’un autre leadership, et le plus tôt sera le mieux Tamir Pardo, ancien directeur du Mossad
Avant les attaques du 7 octobre, Israël était déjà traversé par de profondes divisions politiques et sociales. Deux ans plus tard, le constat de Tamir Pardo est encore plus sombre.
« La société est totalement déchirée. Pas seulement divisée. Nous avons besoin d’un autre leadership, et le plus tôt sera le mieux. J’espère qu’un gouvernement totalement différent pourra guérir ces blessures dont nous souffrons tous, car ce gouvernement n’unit pas la population d’Israël. Et quand je dis la population, j’inclus tout le monde: toutes les sensibilités juives, mais aussi les non-Juifs. »
Division intérieure
Pour Tamir Pardo, le danger le plus grave ne se situe pas aux frontières d’Israël, mais en son sein. « Je n’ai peur de personne: ni de l’Iran, ni du Hezbollah qui n’existe plus, ni du Hamas. Dans une région comme la nôtre, quand la société est déchirée, c’est un danger bien plus grand que tous les autres. »
Un avertissement qu’il accompagne d’un appel au sursaut collectif: « J’espère que nous trouverons un moyen de guérir ces blessures au sein de notre société. Mais cela ne pourra se faire qu’avec un autre type de leadership. Point final ».