Un « deal » avec l’Iran, la grande illusion de Donald Trump




C »est l’autre objectif majeur du président américain. Celui qu’il place en tête
de ses préoccupations lors de chacune de ses rencontres avec ses
homologues occidentaux. Au-delà de sa volonté de mettre rapidement fin à la
guerre en Ukraine, quitte à tordre le bras de Volodymyr Zelensky au profit de
Vladimir Poutine, Donald Trump ne cache pas son souhait d’arracher un accord
sur une autre crise aux conséquences potentiellement dévastatrices : l’épineux
dossier du nucléaire iranien.

« Nous sommes dans une situation avec l’Iran où il va se passer quelque chose
rapidement […]. J’espère que nous pourrons avoir un accord de paix », a déclaré,
vendredi 7 mars, le pensionnaire de la Maison-Blanche, en révélant à la chaîne
américaine Fox Business avoir adressé, deux jours plus tôt au guide suprême
iranien, une lettre les invitant à négocier un compromis diplomatique. « Nous en
sommes aux derniers moments […]. On ne peut pas les laisser avoir l’arme
nucléaire », a ajouté le président américain, en brandissant la menace d’une
intervention militaire.
« Vocation militaire »

La crise du nucléaire iranien a éclaté en août 2002, lorsque des membres de
l’organisation des Moudjahidines du peuple, un groupe controversé d’opposition
iranien basé à l’étranger, ont révélé l’existence, en Iran, d’un programme atomique
secret.
Si la République islamique assure enrichir de l’uranium dans ses centrales
nucléaires dans un but strictement pacifique, comme l’y autorise le Traité de nonprolifération nucléaire (TNP) dont elle est signataire, les grandes puissances
internationales – pays occidentaux en tête – estiment au contraire que les
activités atomiques iraniennes ont des visées militaires.
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« Le programme nucléaire iranien a toujours été à vocation militaire », souligne un
diplomate spécialiste du dossier. « Il n’y a aucune autre explication justifiant un
enrichissement d’uranium à 60 %. » Les inquiétudes occidentales ont, un temps,
été rassurées par la conclusion en juillet 2015 d’un accord (JCPOA) réduisant
considérablement les activités atomiques controversées de l’Iran en échange
d’une levée des sanctions internationales qui étouffaient l’économie iranienne.

Retrait américain
Ironie du sort, c’est Donald Trump qui s’est unilatéralement retiré, en mai 2018, du
JCPOA, que respectait pourtant Téhéran selon l’Agence internationale de l’énergie
atomique (AIEA), mais que le président américain considérait comme un « mauvais
accord » ne répondant pas aux autres préoccupations de ses alliés israélien,
saoudien et émirien : le programme de missiles balistiques de l’Iran et ses
« activités déstabilisatrices » dans la région.
Déterminé à tordre le bras de l’Iran pour le contraindre à accepter un nouveau
texte à ses propres conditions, le président américain a prononcé contre Téhéran
plus de 1 500 sanctions économiques et pétrolières : la « pression maximale » était
née.
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Or, loin de ramener les dirigeants iraniens à la table des négociations, cette
politique a au contraire conduit Téhéran à reprendre, en 2019, son programme
nucléaire controversé, si bien que la République islamique n’a jamais été si proche
qu’aujourd’hui de l’obtention de la bombe atomique.

Dans un rapport confidentiel datant de février, l’AIEA indique que l’Iran a accru de
manière « très préoccupante » ses réserves d’uranium enrichi à 60 %, passant à
274,8 kilogrammes contre 182,3 kilogrammes au mois de novembre, soit une
hausse de 51 %.
Au total, le gendarme du nucléaire de l’ONU évalue les réserves iraniennes
d’uranium enrichi à 8 294,4 kilogrammes, soit plus de 41 fois la limite autorisée par
l’accord de 2015. À un taux d’enrichissement de 20 %, l’uranium peut être utilisé
pour la production d’isotopes médicaux, ainsi que pour la propulsion navale et les
réacteurs de recherche. Mais à 90 %, le combustible nucléaire atteint le
seuil nécessaire pour la production d’une bombe.
Affaiblissement iranien
À en croire le sous-secrétaire américain à la Défense Colin Kahl, il faudrait
actuellement douze jours à l’Iran pour accumuler suffisamment de matière fissile
(uranium enrichi à 90 %) pour fabriquer une charge atomique s’il en prenait la
décision, contre un an à l’époque du JCPOA.«

La situation est grave et l’Iran n’a jamais été aussi proche d’avoir tout ce qu’il
faut pour construire la bombe », prévient un autre diplomate. « Maintenant, audelà de la constitution du stock d’uranium, cela requiert également des
compétences de miniaturisation, d’assemblage et de vectorisation qui demeurent
compliquées. » D’après les experts du dossier, cette seconde phase prendrait
entre un à deux ans, mais l’Iran n’aurait pas pris, pour l’instant, la décision
politique de se lancer dans la construction d’une bombe atomique.
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Néanmoins, le déclin des alliés de la République islamique dans le contexte
régional post-7-Octobre pourrait changer la donne. L’affaiblissement successif du
Hamas palestinien et du Hezbollah libanais, sous les coups de boutoir de l’armée
israélienne, couplé au renversement du président syrien Bachar el-Assad a
considérablement affaibli l’« Axe de la Résistance » pro-iranien au Moyen-Orient
et heurté la dissuasion iranienne.
« Coup sur coup, le régime a perdu plusieurs couches de défense dans la région,
ainsi qu’une grande partie de ses missiles balistiques lors des attaques directes
qu’il a lancées l’an dernier contre Israël », analyse le premier diplomate.

« Désormais, un certain nombre de responsables iraniens de second rang laissent
11/03/2025 12:30 Un « deal » avec l’Iran, la grande illusion de Donald Trump
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entendre publiquement un changement de doctrine nucléaire pour aller vers la
construction d’une bombe. »
Unité clandestine
Selon le renseignement américain, l’Iran aurait constitué l’an dernier une
unité clandestine de scientifiques travaillant sur une méthode accélérée visant à
développer une arme nucléaire rudimentaire en quelques mois si la décision
politique était donnée, comme l’a révélé en février le New York Times.
« S’il peut y avoir des voix diverses en Iran, les autorités compétentes ne
recherchent absolument pas l’arme nucléaire », assure sans surprise une source
diplomatique iranienne interrogée sous le couvert de l’anonymat. « Une fatwa du
guide suprême rend haram [illicite, NDLR] une telle arme et seule sa parole fait foi
en Iran. »

Pour l’heure, l’ayatollah Ali Khamenei a écarté toute négociation avec les ÉtatsUnis, fustigeant la politique d’« intimidation » de Washington. « Pour eux, les
négociations ne servent pas à résoudre les problèmes, mais à dominer et ils
veulent imposer leur volonté à l’autre partie par le biais des négociations », a
dénoncé le plus haut personnage de l’État iranien lors d’un discours, samedi
8 mars, devant des responsables du pays tenu à l’occasion du mois de ramadan.
« L’Iran ne négociera pas sous la pression mais dans une situation d’égal à égal et
dans un but constructif », estime la source diplomatique iranienne. « Cela fait des
années que nous sommes frappés par la pression maximale, et ce n’est pas en
tentant d’intimider le monde entier que Donald Trump arrivera à quoi que ce soit.
Cette époque est révolue. »
Négociations européennes
S’il est décidé à faire plier la République islamique, le président américain n’a
jamais précisé les contours de sa stratégie ni les détails des négociations qu’il
appelle de ses vœux. Il a en revanche d’ores et déjà rétabli sa « pression
maximale » contre l’Iran en sanctionnant les exportations iraniennes de pétrole
vers la Chine ainsi que ses ventes d’électricité et de gaz à l’Irak.

Si son administration ne négocie pas, pour l’instant, avec l’Iran, elle laisse ce soin
aux principales puissances européennes (France, Allemagne et Royaume-Uni) qui
ont discuté à plusieurs reprises avec Téhéran depuis son élection en
novembre 2024.

Avec en ligne le rétablissement du mécanisme de « snapback », la possibilité de
rétablir les sanctions internationales contre l’Iran avant l’expiration officielle du
JCPOA, le 18 octobre 2025. « Le snapback constitue notre principal levier de
négociation et nous avons jusqu’à l’été pour pouvoir l’activer dans les délais »,
confie une source proche du dossier, alors que Téhéran a déjà menacé de se
retirer du TNP si le mécanisme était utilisé. « Côté américain, on nous laisse faire
sans qu’aucun détail précis ne soit donné. Donald Trump assure qu’il n’est pas
question de faire la guerre à l’Iran à l’instant T. Mais cela ne veut pas dire que cela
ne changera pas à l’avenir. »
L’absence d’accord avant le 18 octobre prochain ferait à coup sûr basculer la
crise du nucléaire iranien dans une phase critique. Celle où Israël, qui considère la
menace atomique iranienne comme existentielle, se sentirait libre de frapper les
sites nucléaires en Iran avec le soutien américain. « Nous avons toujours été
sérieux lorsque nous avons dit qu’Israël ne permettrait pas à l’Iran d’avoir l’arme
nucléaire », souligne une source diplomatique israélienne sous le couvert de
l’anonymat. « Le fait est que les chemins de la diplomatie s’éloignent chaque jour
davantage et que l’Iran ne dispose plus de défense aérienne pour protéger son
territoire. » Voilà Téhéran prévenu.