Trump-Poutine : baguette magique ?

« Les défis d’un deal Trump-Poutine sur l’Ukraine »

Renaud Girard

CHRONIQUE – Ce n’est pas un sommet estival Trump-Poutine qui va
faire disparaître leurs différends majeurs sur la question
ukrainienne d’un coup de baguette magique. Mais que les deux
leaders se connaissent mieux représente un atout indéniable pour
éviter toute escalade dangereuse.
Il faut se réjouir et non se lamenter du fait que les présidents des deux
premières puissances nucléaires de la planète aient décidé de se rencontrer en
tête à tête, vendredi 15 août 2025, en Alaska1.
Personne n’a envie que le conflit actuel entre la Russie et l’Ukraine, pour le
moment localisé entre les fleuves Dniestr et Don, ne dégénère en troisième
guerre mondiale. Washington et Moscou ont des différends majeurs sur la
question ukrainienne. Ce n’est pas un sommet estival Trump-Poutine qui va les
faire disparaître d’un coup de baguette magique. Mais que les deux leaders se
connaissent mieux représente un atout indéniable pour éviter toute escalade
dangereuse.
Il faut se souvenir que pendant l’été 1914, une querelle picrocholine à Sarajevo

  • ville dont 99 % des Européens de l’époque ignoraient l’existence – avait
    dégénéré, du fait des jeux d’alliances, en une horrible guerre généralisée, où
    l’Europe signa son suicide démographique et politique. Les historiens ont
    montré qu’il n’y avait pas eu à l’époque de tentatives diplomatiques à la hauteur

des enjeux, avec notamment l’absence de toute implication britannique
sérieuse, alors que le Royaume-Uni était alors la première puissance mondiale.
Bien sûr, nous aurions pu avoir mieux. Le président de l’Ukraine, qui est tout de
même le premier concerné, aurait pu être invité au sommet d’Anchorage. Les
Européens aussi, qui ont, pour certains les Russes à leur porte, et qui ont tant
aidé l’Ukraine à tenir financièrement et militairement, après qu’elle eut réussi à
stopper l’invasion russe en mars-avril 2022.
«Honest broker»
En diplomatie, on peut toujours avoir mieux. Mais il faut savoir exploiter ce qu’on
a avant de songer à explorer d’autres voies. Trump souhaitait inviter Zelensky
mais c’est Poutine qui s’y est opposé.
Le fait que l’actuel président américain ait promis, dans son discours
d’investiture, d’arrêter les conflits en cours et de ne pas en commencer de
nouveaux ; le fait qu’il s’implique autant dans la diplomatie mondiale et qu’il rêve
d’obtenir le prix Nobel de la paix, ne sont pas de mauvaises nouvelles pour la
planète.
Il est certain que Trump, malgré un style diplomatique pour le moins baroque,
jouit d’une réelle réputation internationale comme « honest broker ». C’est en sa
présence que le président de l’Azerbaïdjan et le premier ministre d’Arménie ont
voulu sceller leur accord de paix, après plus de trente ans de guerre au plus
profond du Caucase. Il est également avéré que Trump a réussi à ce que des
escarmouches entre l’Inde et le Pakistan ne dégénèrent pas en une nouvelle
guerre. C’est à Washington qu’a également été signé le dernier accord de paix
entre le Rwanda et la République démocratique du Congo.
Certes, pour le moment, il n’a pas réussi à imposer la paix au Proche-Orient et à
élargir les accords d’Abraham – qui furent le plus brillant succès diplomatique
de son premier mandat. Mais il n’a pas dit son dernier mot dans la région.
Un processus de paix ?
Depuis le 20 janvier, il s’est attaqué avec obstination au plus grave problème
diplomatique du XXIe siècle, la guerre russo-ukrainienne, qu’il croyait pouvoir
régler « en vingt-quatre heures ». Même si les obstacles à franchir sont
gigantesques, Trump a raison d’essayer.
Il n’accepte pas de rester les bras croisés devant l’horrible décimation des
jeunesses ukrainienne et russe, et c’est tant mieux. Il n’aime ni le sang, ni la
guerre, et c’est tant mieux. Il n’est pas néoconservateur, il ne croit pas à la
possibilité d’imposer à l’étranger la démocratie par la force, et c’est tant mieux. Il
accepte de parler à tous les leaders, même si ce sont des dictateurs, et c’est
tant mieux.

Aucun des deux belligérants n’est dans une configuration de grande faiblesse qui
l’amènerait à faire les concessions exigées par l’autre partie

Mais il faut être réaliste. Le sommet d’Anchorage a peu de chances d’amorcer
un véritable processus de paix, tant sont importants les défis d’un deal durable
Trump-Poutine sur l’Ukraine.
Premièrement, aucun des deux belligérants n’est dans une configuration de
grande faiblesse qui l’amènerait à faire les concessions exigées par l’autre
partie. Le 8 août 1918 avait été qualifié de « jour de deuil de l’armée
allemande » par le Ludendorff, tant les alliés commandés par Foch avaient
avancé ce jour-là. Aussitôt après, le général allemand et son chef Hindenburg
avaient expliqué au gouvernement de Berlin que la guerre n’était plus gagnable
et qu’il fallait donc demander aux alliés leurs conditions pour arrêter le conflit –
et éviter ainsi une occupation militaire du territoire du Reich.
Sacrifices consentis
Aujourd’hui, ni l’armée russe ni l’armée ukrainienne ne sont démoralisées
comme l’était l’armée allemande après le 8 août 1918. Poutine considère qu’il
n’a pas intérêt à flancher, alors que ses généraux lui promettent – à tort ? – des
avancées stratégiques. Le président russe a déjà tant investi dans ce conflit, en
termes humains, diplomatique et économique, qu’il estime devoir présenter au
peuple russe une victoire indiscutable.
Quant aux Ukrainiens, qui sont nombreux à se confier aux journalistes présents
à Kiev, ils estiment que ce n’est pas le moment de céder et d’abandonner leur
souveraineté, après tant de sacrifices consentis. Ils pensent que céder par traité
des territoires à la Russie ne servirait à rien, car ils n’accordent aucun crédit à la
parole de Poutine. Ils considèrent que cela aiguiserait au contraire son appétit.
Aucune confiance mutuelle, et même détermination des deux côtés à ne pas
céder sur ses revendications : la voie est décidément étroite pour un armistice,
sans même parler d’un traité de paix.
De la rencontre Witkoff-Poutine du 6 août 2025 à Moscou, il a fuité que Poutine
serait prêt à se contenter de ses revendications initiales, à savoir le contrôle de
la totalité des oblasts de Donetsk et de Louhansk. Cela lui permettrait de clamer
qu’il a réussi à protéger les Russes et russophiles de la région, face aux
« nazis » ukrainiens.
Mais pourquoi les Ukrainiens céderaient-ils à Moscou les parties de l’oblast de

Donetsk qu’ils contrôlent encore ? La seule chose qui pourrait motiver Zelensky
d’accepter une telle amputation territoriale serait d’obtenir de réelles garanties
de sécurité, c’est-à-dire l’intégration de l’Ukraine dans l’Otan.
Le problème est que Trump n’est pas prêt à accorder cette légitime garantie de
sécurité à l’Ukraine. Le président américain veut à la fois le beurre (la gloire
mondiale du faiseur de paix), l’argent du beurre (la soumission des Européens
et leurs achats d’armes américaines), et le sourire de la crémière (la satisfaction
de sa base Maga). Or personne au monde n’est en mesure de les lui donner.
Le Figaro.fr: – https://www.lefigaro.fr/vox/monde/renaud-girard-les-defis-d-un-deal-trump-poutine-sur-l-ukraine-20250812
1) http://www.lefigaro.fr/international/donald-trump-prend-le-risque-d-offrir-a-vladimir-poutine-une-victoire-diplomatique-inesperee-20250810