« Il est temps que la France reprenne l’initiative au Moyen-Orient »

 L’appel de 34 anciens ambassadeurs.

Alors qu’Israël intensifie en toute impunité son entreprise de destruction d’un peuple, et accélère sa colonisation de la Cisjordanie pour entraver toute possibilité d’un Etat palestinien, nous ne pouvons rester spectateurs. La décision du président de la République de reconnaître l’Etat palestinien lors de la prochaine assemblée générale des Nations unies [en septembre] est donc tout à fait opportune. D’autres partenaires ont suivi. Dans le contexte actuel de non-respect du droit international cependant, l’annonce est insuffisante.
La déclaration finale de la conférence coprésidée par la France et l’Arabie saoudite fin juillet à l’ONU [Organisation des Nations unies] prévoit une reconnaissance graduelle et conditionnée de l’Etat palestinien, alors qu’il y a urgence à agir. Si des engagements sont requis pour un Etat viable, une reconnaissance immédiate et unilatérale n’en demeure pas moins un acte de foi politique, face à la négation de ce droit par Israël.
Il est temps que la France reprenne l’initiative sur cette question – dix ans après la reconnaissance de l’Etat de Palestine par la Suède, un an après l’Espagne, l’Irlande, la Slovénie et la Norvège. Le respect du droit international, autrefois notre boussole diplomatique, menace de céder sous l’effet du scepticisme ou de l’hostilité de divers acteurs sur le plan international, comme de la priorité donnée aux intérêts et aux alliances. Notre position légaliste sur l’Irak en 2003 se retrouve vis-à-vis de l’Ukraine, mais fait défaut au Moyen-Orient, où nous sommes accusés de faire « deux poids, deux mesures ».
Hésitations et confusion
Ce changement profond compromet notre image et notre influence dans le monde. Jugée hier indépendante et équitable, notre diplomatie est aujourd’hui moins audible. Quand dans l’Union européenne [UE], d’autres pays prennent des positions plus avancées que les nôtres sur le conflit israélo-palestinien, beaucoup dans la région du Moyen-Orient se sentent déçus, voire trahis.
Nous avions à juste titre condamné l’attaque terroriste du 7 octobre 2023. Elle ne pouvait toutefois justifier le nettoyage ethnique du peuple palestinien, et nousnous sommes émus bien tardivement du nombre croissant de civils palestiniens victimes à Gaza d’opérations destructrices, d’incessants déplacements forcés de la population, d’effets dévastateurs du blocus alimentaire et sanitaire, et, en Cisjordanie, de la violence impunie des colons.
Notre hésitation à dénoncer les abus tenait pour partie à notre volonté de demeurer un interlocuteur pour Israël et pour les Etats-Unis, malgré le peu de considération de leurs dirigeants à notre égard, voire l’invective ou les procès en antisémitisme. Cette retenue a pu conduire à minimiser des faits graves, de nature à entamer notre crédit.
En France, l’amalgame trop prompt de toute critique forte de la politique d’Israël avec l’antisémitisme produit de la confusion dans les esprits et nourrit la propagande la plus extrémiste. Utilisé hors de propos, le terme même perd de son impact. Aujourd’hui, un ancien ambassadeur d’Israël en France, Elie Barnavi, sonne lui-même l’alarme dans une éloquente tribune. D’anciens responsables israéliens de la sécurité demandent au président américain, Donald Trump, de faire pression sur leur pays pour arrêter la guerre à Gaza. Deux ONG israéliennes [B’Tselem et Physicians for Human Rights] n’hésitent plus à parler de génocide.
La sécurité d’Israël et son droit incontestable à se défendre ont pu prêter à confusion. Israël menace de fait sa propre sécurité, comme celle de la région, par sa négation du droit à l’autodétermination du peuple palestinien, comme par ses incursions en Syrie et au Liban, et par certaines déclarations sur le Grand Israël. Seule une paix juste et durable – comme le proposait le plan de paix endossé par tous les pays arabes en 2002 – peut garantir la sécurité pour tous.
Si appeler à la libération des otages israéliens aux mains du Hamas est pour nous un impératif moral et politique, exiger la fin du blocus israélien qui maintient prisonnière la population de Gaza depuis 2007 l’est tout autant. De même qu’il est indispensable de stopper la colonisation en Cisjordanie et de préserver le statu quo à Jérusalem. Le vote récent de la Knesset [le Parlement israélien] sur l’annexion de la Cisjordanie et la décision annoncée d’occuper Gaza [le 7 août par Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien] constituent un nouveau défi au droit international.
Aussi imparfaite que soit la mise en œuvre de ce droit, il reste un élément de stabilisation. Son discrédit, son déclin, frappants ces deux dernières années, sont lourds de conséquences à terme pour la paix dans le monde, voire pour le statut de pays comme le nôtre.
Pour jouer un rôle véritable, au-delà du mouvement bienvenu lancé par le président, nous devons renouer avec notre défense du droit international sur les dossiers emblématiques du Moyen-Orient, contribuant ainsi à la reconstruction d’un système international miné par une crise de confiance. Une démarche à mener avec nos partenaires de l’UE et les pays affinitaires, en vue de :
– l’arrêt immédiat de la guerre, avec libération des otages ;
– l’arrêt de la colonisation (et de toute importation provenant des colonies) ;
– la distribution urgente de l’aide humanitaire par l’UNRWA [l’agence onusienne chargée des réfugiés palestiniens] ;
– la suspension de l’accord d’association UE-Israël tant que cet Etat ne respecte pas l’article 2 sur le respect des droits humains ;
– la suspension de toute fourniture de matériels de guerre à Israël ;
– l’exigence d’un accès de la presse internationale à Gaza ;
– un soutien sans réserve à la Cour pénale internationale ;
– l’interdiction de notre territoire à M. Nétanyahou et aux responsables civils et militaires qui soutiennent les exactions, prônent le nettoyage ethnique et lancent des campagnes hostiles à notre pays ;
– l’accueil en France des victimes de Gaza les plus durement touchées ;
– la poursuite des ressortissants français ayant commis des exactions à Gaza et en Cisjordanie ;
– l’abandon des poursuites contre les critiques de la politique israélienne, loin de toute apologie du terrorisme ou de l’antisémitisme.
Seule une application de ces mesures inspirées des principes mêmes du droit international, de la Charte des Nations unies, des conventions de Genève et du statut de Rome, peut redonner à la France sa voix et son rôle au Moyen-Orient et sur la scène internationale.

Les signataires sont tous d’anciens ambassadeurs : Benoît d’Aboville ; Charles-Henri d’Aragon ; Bruno Aubert ; Yves Aubin de La Messuzière ; Bernard Bajolet ; Frédéric Baleine du Laurens ; Marc Baréty ; Denis Bauchard ; Bertrand Besancenot ; Alain du Boispéan ; Gilles Bonnaud ; Jean-Claude Cousseran ; Gérard Cros ; Brigitte Curmi ; Serge Degallaix ; Frédéric Desagneaux ; Yves Doutriaux ; Jean Félix-Paganon ; Gilles Gauthier ; Stéphane Gompertz ; Daniel Jouanneau ; Jean-Loup Kuhn-Delforge ; Stanislas de Laboulaye ; Eric Lavertu ; Patrick Leclercq ; Jean Mendelson ; Patrick Nicoloso ; Nicolas Normand ; Patrice Paoli ; André Parant ; Alain Rémy ; François Sénémaud ; Thierry Viteau ; Nada Yafi.