« La Ménagerie de verre » de Tennessee Williams. Dans une minutieuse mise en scène du célèbre flamand Ivo van Hove, Isabelle Huppert donne toute la mesure de son immense talent de comédienne de théâtre jusqu’au 22 décembre 2022
par Lydie Léa Chaize
« La Ménagerie de verre », jouée en 1945 à New York, a eu un succès retentissant, le premier grand succès dans l’œuvre théâtrale de Tennessee Williams. Cette histoire quasi autobiographique se situe dans les années trente d’une Amérique en proie à une crise politique, économique et sociale, prélude à la naissance du nazisme en Europe. Tennessee Williams avait un père très absent, une mère issue de la bonne société du Sud des Etats Unis, une sœur atteinte de troubles mentaux et physiques et un frère « qui étouffait dans le foyer familial ». Dans ce nouveau lieu d’habitation qui ressemble plus à une tanière qu’à un appartement, le très inventif scénographe Jan Versweyveld choisit de créér l’action dans un sous-sol, qui n’est pas sans évoquer la caverne de Platon, où l’illusion des ombres en se dévoilant risque d’entraîner la perte de repères et la fuite dans les fantasmes. Les murs de cet enfermement sont tapissés de fresques, dans un camaïeu de tons ocres/orangés, où figurent des personnages, des mains et des visages plutôt fantasques, dont celui d’un père plus ou moins défiguré. Dans ce lieu singulier, tout contribue à donner une étrange vision fantomatique.
Isabelle Huppert incarne une mère (Amanda) nostalgique de la splendeur d’un passé fastueux dans la bonne société du Sud, qu’elle idéalise forcément, pour fuir le passé et l’homme qui l’a, brusquement, abandonnée avec ses 2 enfants. Déchirée, désespérée, c’est une mère nourricière obsédée par le bonheur de ses enfants Laura (Justine Bachelet) et Tom (Antoine Reinartz). « Le succès et le bonheur pour mes enfants chéris. Je fais ce vœu à chaque nouvelle lune, même s’il n’y en a pas », dit-elle. Tom, le petit frère rêve de devenir écrivain, mais en attendant il doit se contenter de travailler dans une usine à chaussures pour subvenir, tant soi peu, aux besoins de la famille, menant tout de même une vie parallèle. Laura vit dans un monde imaginaire, collectionnant des animaux en verre, reflet de sa fragilité, au grand désespoir de sa mère qui voudrait lui trouver un fiancé en la personne de Jim (Cyril Gueï), l’ami de Tom.
Ce huis clos donne à voir un trio vulnérable, enfermé dans sa solitude; une famille digne, bien que démunie, qui a du mal à se reconstruire. Et, comme pour donner le change, Amanda veut rester enjouée, rieuse, loin du drame mais le vernis craque, et dans un moment sublime de désespérance Isabelle Huppert nous offre le meilleur de son talent, entourée des trois bons comédiens qui lui donnent la réplique. Parlant du personnage incarné par l’actrice, Ivo van Hove s’exprime ainsi : « Elle seule pouvait lui donner toute sa force de résilience ….comme un phénix qui renaît de ses cendres”.
Les éclairages sont particulièrement significatifs des différentes ambiances qui règnent dans la pièce. Une lumière blafarde, parfois un simple rais de lumière suffisent à changer d’atmosphère. Bravo encore à Jan Versweyveld !
Un huis clos de souffrance, qui nous laisse cependant encore entrevoir une lueur d’espoir… Laura (Justine Bachelet) chantonne, écoute de la musique sur son électrophone qui l’emporte dans un ailleurs….Là où tout est douleur et beauté, la chanson de Barbara « L’Aigle Noir » nous émeut et résonne comme un relent d’inceste que Tenessee Williams aurait exercé sur sa sœur. Dans sa nouvelle intitulée « Portrait d’une jeune fille en verre », il écrit : « En rentrant de l’entrepôt, ou après avoir fini d’écrire, le soir, j’entrais dans sa chambre pour lui faire une petite visite (…) J’avais les nerfs usés et ma sœur exerçait sur moi un effet calmant »…
Tout contribue au succès de ce spectacle, où le réel et l’imaginaire s’entrecroisent, nous laissant un parfum mélancolique et néanmoins jubilatoire que la talentueuse et grande actrice Isabelle Huppert nous offre sous la conduite avec maetria du non moins grand metteur en scène, Ivo van Hove.
Du vrai théâtre, un spectacle à voir de toute urgence ! …
Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon 75006 Paris.
Location : 01 44 85 40 40 / www.theatre-odeon.eu