Propos liminaires de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, lors de sa rencontre avec la presse à Beyrouth (7 mai 2021)
Bonjour mesdames et messieurs,
Je termine un court séjour à Beyrouth et je vais reprendre le chemin de Paris dans quelques instants, mais je voudrais faire le point avec vous. D’abord pour vous rappeler que dans les périodes prospères comme dans les moments douloureux, la France s’est toujours tenue aux côtés du peuple libanais. Le 6 août dernier, le Président de la République en avait renouvelé la promesse aux Libanaises et aux Libanais. J’étais à ses côtés. Je suis venu le redire avec force : la France reste et restera mobilisée sur la durée en soutien à la population libanaise.
Avant même le drame du 4 août, la France était auprès du Liban, pour faire face à la crise qui, déjà, le frappait. Je suis bien placé pour le savoir car j’ai moi-même réuni à Paris la communauté internationale autour du Liban dès décembre 2019. Depuis, face à l’urgence de la situation, cette mobilisation de notre part n’a pas faibli, bien au contraire. Cette mobilisation a bénéficié de manière très concrète à l’ensemble des Libanais.
La France est au rendez-vous de ses engagements. Plus de 85 millions d’euros ont déjà été engagés au Liban. Dans les quatre domaines prioritaires que nous avions identifiés, nos promesses ont été tenues : en matière de reconstruction et de préservation du patrimoine ; d’accès à l’alimentation ; de soutien au secteur médical et sanitaire ; de soutien aux écoles et au secteur éducatif. J’ai pu le constater lors de mes échanges avec les Libanais hier, et en observant sur le terrain les résultats de nos actions de soutien : à l’école des Saints-Cœurs Sioufi ; dans un centre de santé situé dans le quartier de Bourj Hammoud ; à la Bibliothèque orientale de l’université Saint-Joseph ; et naturellement sur le port de Beyrouth.
L’action de la France s’inscrit également dans le cadre plus large d’une mobilisation collective. Le Président de la République a réuni la communauté internationale à deux reprises, le 9 août puis le 2 décembre, avec les Nations Unies. 250 millions d’euros de dons avaient été annoncés : ces annonces ont été dépassées.
Mais après plus de huit mois de blocage, il est désormais évident que le Liban a besoin d’un véritable renouveau de ses pratiques politiques et institutionnelles. La société libanaise, dans sa richesse et dans sa diversité, se mobilise en ce sens. Elle peut puiser pour cela dans la tradition de pluralisme démocratique qui fait la force de ce pays.
C’est pourquoi nous nous tournons également vers l’avenir – c’est là mon deuxième message. Face à l’obstruction des forces politiques, j’ai mesuré, une nouvelle fois au cours de cette visite, la vitalité de la société civile libanaise. Ce sont à ces Libanaises et à ces Libanais engagés que j’ai rendu visite : à ceux qui se mobilisent pour préserver l’avenir du Liban, son modèle de société, son unité dans sa diversité, la coexistence pacifique de ses communautés et de ses cultures. C’est ce qui fait la force et l’unité singulière du Liban. A ce titre, je considère que notre soutien aux écoles du Liban est essentiel : c’est là où se forment les talents futurs de ce pays. C’est là que prend racine la cohésion de ce pays. Nous avons, en 2020, soutenu plus de 180 établissements et environ 90 000 élèves. Et nous avons décidé de préserver et de renforcer le Fonds pour les Ecoles d’Orient, qui devrait apporter de nouveau cette année une aide de près de 2 millions d’euros aux écoles chrétiennes francophones du Liban.
Préparer l’avenir, c’est aussi miser sur la force et la vitalité de la démocratie libanaise et la mobilisation de tous ses citoyens, notamment de sa jeunesse, pour permettre la réaffirmation d’un Etat qui soit à même de répondre aux besoins et aux aspirations légitimes de sa population. Les échéances électorales de 2022 seront à cet égard d’une importance majeure. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt plusieurs représentants de partis et de mouvements qui entendent porter des projets de modèle politique différent. J’ai aussi rencontré des femmes libanaises exceptionnelles hier soir, engagées dans des initiatives citoyennes et solidaires formidables.
Et je dois vous dire ici que c’est aux Libanais et à eux seuls, en toute indépendance et en toute souveraineté, de choisir ce qu’ils veulent pour leur pays. Je note qu’il y a beaucoup d’idées, beaucoup de projets, un foisonnement. L’échéance de 2022 doit être l’occasion d’un vrai débat démocratique sur l’avenir du Liban.
Il est en effet urgent de sortir de l’impasse politique dans laquelle le pays se trouve – et c’est mon troisième message. J’ai exprimé clairement cette nécessité lors de mes entretiens avec le Président de la République, le Président du Parlement et le Premier ministre désigné, puisqu’ils sont institutionnellement chargés de s’accorder sur un gouvernement.
Jusqu’à ce jour, je constate que les acteurs politiques n’ont pas encore assumé leurs responsabilités et ne se sont pas encore mis à travailler sérieusement au redressement rapide du pays. S’ils n’agissent pas dès aujourd’hui dans un sursaut responsable, ils devront assumer les conséquences de cet échec, et les conséquences du reniement des engagements qu’ils avaient pris ici-même, le 1er septembre dernier, devant le Président de la République.
En attendant, nous refusons pour notre part de rester inactifs face à l’obstruction – je parle bien d’obstruction. Nous avons donc commencé à mettre en œuvre des mesures restrictives en matière d’accès au territoire français à l’encontre de personnalités responsables du blocage politique en cours ou de personnalités impliquées dans la corruption. Ce n’est qu’un début : si le blocage persiste, ces mesures pourront être durcies ou étendues. Elles pourront aussi être complétées par les instruments de pression dont dispose l’Union européenne, et sur lesquels la réflexion a déjà été engagée avec nos partenaires européens. Chacun doit prendre ses responsabilités : nous prenons les nôtres ; aux responsables libanais de décider s’ils veulent sortir du blocage qu’ils ont organisé depuis plus de huit mois. Je suis convaincu que c’est possible. C’est possible s’ils le veulent. Ils peuvent agir. C’est à eux de le faire.
Je vous le redis en conclusion : si la France se mobilise, c’est pour les Libanais, pour tous les Libanais : pour qu’ils ne perdent pas foi dans la possibilité d’un Etat juste et d’une gouvernance efficace. C’est pour tous les Libanais, pour les accompagner dans la construction d’un avenir dont ils doivent eux-mêmes définir les contours. J’ai rencontré à plusieurs moments de ma journée d’hier des citoyennes et des citoyens libanais qui ont décidé de relever ce défi, à la fois avec courage, mais aussi avec beaucoup de dignité. C’est à eux que je suis venu porter ce message essentiel : la France sera à leur écoute et soutiendra leurs aspirations légitimes.