
Les annonces américaines de droits de douane ont provoqué une volatilité inédite du secteur du transport maritime international ces dernières semaines.
La pause de 90 jours décidée par Donald Trump sur une partie des surtaxes à l’importation, à l’exception notable de celles visant la Chine, est à nouveau venue bouleverser la donne après un début d’année agité. Dans les trois semaines qui ont précédé l’annonce, on a vu un ralentissement des échanges et beaucoup de bateaux n’étaient remplis qu’à 50 % sur le trafic transatlantique et transpacifique vers les États-Unis
, observe Alexandre Charpentier, spécialiste transport associé au cabinet Roland Berger.
Pendant cette période, les prix du fret maritime ont reculé et les expéditeurs ont conservé leurs stocks par prudence.
On a l’effet inverse
depuis une dizaine de jours, poursuit Alexandre Charpentier. La décision du représentant au commerce de la Maison Blanche (USTR) jeudi 17 avril de taxer les navires fabriqués en Chine lorsqu’ils accosteront dans les ports américains à partir de mi-octobre risque également d’accélérer les choses. Près de la moitié des bateaux construits dans le monde sortent des chantiers navals chinois. Les gens veulent acheminer au maximum vers les États-Unis, ils déstockent et c’est la ruée vers les places
, détaille Alexandre Charpentier. Au point qu’il est parfois difficile d’acheminer un conteneur et que les prix sont repartis à la hausse.
Baisse des tarifs
Sur le long terme, les compagnies craignent malgré tout une baisse des tarifs de fret, comme cela a été le cas en 2018-2019, lors du premier mandat de Donald Trump et l’instauration de barrières douanières pourtant moins importantes que celles d’aujourd’hui.
À l’époque, les transporteurs avaient été confrontés à un phénomène de surcapacité, une baisse des tarifs de fret, une augmentation de leurs coûts et en fin de compte, une réduction de leurs recettes
, rappelle Sandy Gosling, spécialiste transport et logistique chez McKinsey.
Il est difficile de voir l’avenir mais ce qui nous semble être le plus probable, c’est un déclin de certaines routes au profit d’autres pays d’Asie du Sud-Est ou de l’Inde
, anticipe Alexandre Charpentier.
Anne-Sophie Fribourg, vice-présidente du commissionnaire de transport britannique Zencargo, s’attend à voir la liaison Chine-États-Unis devenir déficitaire.
De nouvelles routes maritimes
Si cela se confirme, les armateurs vont réajuster leurs rotations. Donc se détourner des routes traditionnelles pour se tourner vers de nouvelles routes, comme vers l’Amérique latine qui a une demande assez croissante depuis pas mal de temps
, observe-t-elle.
La compagnie allemande Hapag-Lloyd a dit ne constater aucun changement sur l’Atlantique
mais un recul massif de la Chine
, compensé par une nette augmentation de la demande en Asie du Sud-Est
.
La société de conseil Boston consulting group, dans une note à ses clients, a dit s’attendre à un fort déclin des échanges Chine-États-Unis et une hausse des échanges au sein du Sud global
, composé des pays émergents et des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).
D’après l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le commerce mondial de marchandise pourrait reculer de 1,5 % en volume en 2025 en fonction de la politique douanière de Trump. Elle envisage même un effondrement de 81 % du volume commercial entre la Chine et les États-Unis.
Le secteur maritime a surmonté de nombreuses crises ces dernières années. Après la désorganisation des chaînes logistiques pendant les années covid, menant à des taux de fret historiquement bas fin 2023, notamment entre l’Asie et l’Europe, les attaques houthistes en mer Rouge et le déroutage massif par le cap de Bonne Espérance de 2024 ont tendu le marché. Les armateurs ont ainsi développé une agilité pour changer de route
, relève Anne-Sophie Fribourg de Zencargo. Mais le redéploiement des flux sur d’autres zones va prendre un certain temps
, prévient Alexandre Charpentier.