Calme tactique, dérive stratégique : La fausse promesse du réajustement régional de Trump

La diplomatie menée par Donald Trump au Moyen-Orient durant son second mandat a été largement présentée comme une percée géopolitique : un cessez-le-feu surprise entre l’Iran et Netanyahu, des avancées diplomatiques dans le Golfe vers la Syrie et le Liban, et une reprise timide du dialogue avec Téhéran. De loin, cela ressemble à un réalignement stratégique. De près, on découvre une réalité bien plus fragile : un calme tactique masquant un désordre structurel plus profond. Ce qui est présenté comme un réajustement diplomatique est en réalité une chorégraphie d’improvisation — menée par des acteurs qui ne partagent ni la même logique, ni le même calendrier.

Liban : quand l’incohérence devient risque stratégique

Le cas le plus préoccupant de cette incohérence est le Liban. Tom Barrack, magnat de l’immobilier devenu émissaire spécial, aurait reçu pour mission de négocier une percée sur le désarmement du Hezbollah. Son initiative — incluant des observateurs étrangers, des délais rigides et même la participation d’un représentant du gouvernement Netanyahu au mécanisme de vérification — a suscité une vive inquiétude à Beyrouth et au-delà. Ce n’est pas un plan de paix ; c’est une provocation déguisée en diplomatie.

Pendant ce temps, l’envoyé officiel de Trump, Steve Whitkoff, tente de réengager Téhéran sur les dossiers nucléaires et régionaux. Mais ses efforts s’enlisent. L’Iran perçoit une administration américaine divisée : une voie qui pousse à l’escalade au Liban, l’autre qui propose un dialogue sans coordination crédible. Le désarmement du Hezbollah aurait pu être intégré dans un accord global avec l’Iran. Au lieu de cela, il est traité unilatéralement — et de manière inefficace — avec un risque réel de guerre civile.

On peut même se demander : Tom Barrack n’aurait-il pas dû attendre que Whitkoff progresse avec le vice-ministre des Affaires étrangères Abbas Araghchi avant de lancer un pari aussi risqué sur le Liban ? Si les deux envoyés s’étaient simplement consultés — ou s’étaient coordonnés dans le temps — les chances de réussite de Barrack auraient été plus réalistes. En agissant hors séquence, Washington a compromis à la fois sa piste iranienne et son initiative libanaise.

Quand la main droite négocie pendant que la main gauche provoque, la guerre devient un problème de communication, non d’intention. Ce décalage n’est pas anecdotique. Il illustre parfaitement la posture de Trump au Moyen-Orient : missions déconnectées, envoyés désynchronisés, et objectifs contradictoires.

Le Liban est désormais l’épicentre de cette confusion. Le Hezbollah se prépare à une confrontation. Netanyahu guette l’occasion de rétablir la dissuasion. Et l’État libanais, fracturé et appauvri, n’a plus les moyens d’agir en tampon. On ne réaligne pas une région en ignorant ses fractures — on ne fait que différer l’explosion. Ce qui ressemble à un calme apparent pourrait bien dégénérer en nouveau front de conflit.

Le Golfe : souplesse sous contrainte

L’illusion de cohérence s’étend au-delà du Liban. Le récit d’un nouvel équilibre régional — dans lequel les États du Golfe joueraient les médiateurs entre l’Iran et Netanyahu — est séduisant, mais exagéré. Bien que l’Arabie saoudite et les Émirats aient démontré une capacité croissante d’initiative diplomatique, leur posture reste dictée par les contraintes plus que par la stratégie. Leur ouverture vers la Syrie, l’Iran et le Levant reflète une adaptabilité face à l’incohérence américaine, à l’escalade de Netanyahu et à l’endurance stratégique de l’Iran.

Dans ce contexte, la politique syrienne de Mohammad ben Salmane mérite d’être examinée de plus près. Son rapprochement avec Damas vise moins à former un nouvel axe qu’à créer un tampon stabilisateur — à la fois pour protéger les intérêts saoudiens et pour consolider les fronts vulnérables de la Jordanie et de l’Égypte. Ses manœuvres ne cherchent ni à encercler l’Iran ni à provoquer le Hezbollah, mais à gérer les lignes de faille d’une région où l’affrontement ouvert ne profite plus à personne. La question ouverte reste : pourra-t-il contenir la nouvelle stratégie levantine de Netanyahu ?

L’illusion de cohérence s’étend au-delà du Liban. Le récit d’un nouvel équilibre régional — dans lequel les États du Golfe joueraient les médiateurs entre l’Iran et Netanyahu — est séduisant, mais exagéré. Bien que l’Arabie saoudite et les Émirats aient démontré une capacité croissante d’initiative diplomatique, leur posture reste dictée par les contraintes plus que par la stratégie. Leur ouverture vers la Syrie, l’Iran et le Levant reflète une adaptabilité face à l’incohérence américaine, à l’escalade de Netanyahu et à l’endurance stratégique de l’Iran.

Dans ce contexte, la politique syrienne de Mohammad ben Salmane mérite d’être examinée de plus près. Son rapprochement avec Damas vise moins à former un nouvel axe qu’à créer un tampon stabilisateur — à la fois pour protéger les intérêts saoudiens et pour consolider les fronts vulnérables de la Jordanie et de l’Égypte. Ses manœuvres ne cherchent ni à encercler l’Iran ni à provoquer le Hezbollah, mais à gérer les lignes de faille d’une région où l’affrontement ouvert ne profite plus à personne. La question ouverte reste : pourra-t-il contenir la nouvelle stratégie levantine de Netanyahu ?

La méthode Trump : éviter l’engrenage, non construire l’Ordre

Les gestes de Trump — rencontre avec al-Sharaa, contournement de Netanyahu dans le cessez-le-feu de Gaza, ouverture vers l’Iran — ne relèvent pas d’une doctrine stratégique. Ce sont des manœuvres opportunistes, motivées par des impératifs d’image, des calculs électoraux, et la pression financière du Golfe — des gains superficiels sans vision d’ensemble.

A Gaza, Syrie au Liban, Trump a systématiquement refusé de contenir l’escalade menée par Netanyahu. Son approbation tacite de la stratégie de fragmentation de Netanyahu — désarticuler la cohésion arabe par le désordre organisé — ne relève pas de la neutralité, mais bien de la complicité. Il ne conteste pas les lignes rouges de Netanyahu ; il les contourne.

Yémen et Iran :Retraits Tactiques, Absence de Vision
Le Yémen suit la même logique réactive. Le cessez-le-feu entre les États-Unis et les Houthis a été salué, mais il s’agissait en réalité d’un repli. Trump a évité d’exiger l’arrêt des attaques houthies contre les navires liés à Israël. Sa priorité était d’offrir à l’Arabie saoudite un calme relatif — pas une désescalade régionale. Les Houthis ne se sont pas rendus. C’est Trump qui a reculé.

Sur le dossier nucléaire, Washington reste enfermé dans un cycle de demandes irréalistes et de bricolage diplomatique. Trump et Whitkoff manquent à la fois du consensus interne et du capital politique pour s’opposer au bloc pro-Netanyahu au Congrès. Leur stratégie se résume à “accepter de ne pas être d’accord” : une posture d’attente sans solution réelle. Whitkoff mène un combat de jiu-jitsu avec des réflexes de lutteur — pendant que l’Iran, maître du jeu long, laisse le temps faire son œuvre. Les États-Unis boxent contre leur propre ombre

La Turquie : ambiguïté stratégique comme ressource

La Turquie refuse les catégorisations binaires. Erdoğan entretient des liens avec le Qatar et le Hamas tout en maintenant des relations fonctionnelles avec Riyad et Tel Aviv. Ankara cultive une posture d’ambiguïté stratégique — ni alignée, ni opposée.

Acteur dominant dans le nord syrien et seul à exercer un contrôle militaire direct sur HTS, la Turquie se positionne pour tirer parti d’un éventuel redécoupage territorial en Syrie. Si cela se produit sans garde-fous, Ankara pourrait bien se retrouver sur une trajectoire de collision lente avec Tel Aviv.

L’“axe de stabilité” : Une illusion d’épuisement

Certains qualifient la configuration actuelle d’“axe de stabilité” — unissant pragmatisme du Golfe, désengagement américain et retenue iranienne. Mais ce supposé axe repose moins sur une convergence stratégique que sur une lassitude partagée. Aucun des acteurs ne souhaite une guerre élargie, mais aucun ne construit une architecture de paix non plus.

La normalisation avec le gouvernement Netanyahu ne peut pas reposer sur des fondations durables tant que la question palestinienne reste figée. Tenter d’échanger des victoires symboliques en Syrie contre l’oubli stratégique de Gaza — en feignant que les deux crises sont séparées — n’est pas seulement moralement indéfendable. C’est une erreur d’analyse. Tant qu’un cadre n’affirmera pas la souveraineté palestinienne, ne garantira pas l’équilibre constitutionnel libanais, et ne contiendra pas la stratégie de fragmentation permanente de Netanyahu, le prétendu réalignement restera fragile.

Conclusion : Non un réajustement, mais une suspension

Trump ne réaligne pas le Moyen-Orient ; il l’évite. Le Golfe ne bâtit pas une nouvelle architecture ; il manœuvre dans les limites du possible. L’Iran ne se réintègre pas ; il gagne du temps. Et Netanyahu ne déborde pas — il renverse l’échiquier.

La région ne s’oriente pas vers un équilibre. Elle suspend son effondrement — pendant que les fractures sous-jacentes s’approfondissent. Plus les émissaires sont désynchronisés, plus le risque de malentendu stratégique augmente.

A. Najafi