par Nidal al-Mughrabi
LE CAIRE (Reuters) – Du contrôle du prix du poulet à l’imposition de taxes sur les cigarettes, le Hamas s’emploie à rétablir son emprise sur la bande de Gaza en attendant la lente mise en oeuvre des projets américains pour l’avenir de l’enclave palestinienne, rapportent des habitants, ce qui alimente les doutes sur son engagement à céder le pouvoir.
Après l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu en octobre, le mouvement islamiste a rapidement repris le contrôle des secteurs dont Israël s’est retiré, tuant des dizaines de Palestiniens qu’il accusait de collaboration avec l’Etat hébreu, de vols ou de divers autres crimes. Les puissances étrangères impliquées dans les efforts de paix exigent du Hamas qu’il désarme et cède les rênes de l’exécutif mais elles n’ont toujours pas décidé par qui le remplacer.
Plusieurs Gazaouis interrogés par Reuters, dont des commerçants directement concernés, disent ressentir une nouvelle forme d’emprise du Hamas sur le territoire. Les autorités contrôlent tout ce qui entre dans les zones tenues par le mouvement islamiste, levant des taxes sur certaines catégories de produits comme l’essence ou les cigarettes et infligeant des amendes aux marchands jugés coupables de pratiquer des prix trop élevés, rapportent ces habitants.
Ismaïl al Thaouabta, responsable des relations avec la presse du gouvernement du Hamas, a déclaré que les témoignages faisant état d’une taxation du carburant et des cigarettes étaient inexacts. Il a démenti que le gouvernement lève la moindre taxe.
Les autorités mènent uniquement des missions humanitaires et administratives urgentes tout en déployant des « efforts énergiques » pour contrôler les prix, a-t-il ajouté. Il a réitéré l’engagement du Hamas à transmettre le pouvoir à un nouvel exécutif technocratique, affirmant que l’objectif du mouvement était d’éviter à Gaza de sombrer dans le chaos: « Notre objectif est que la transition se déroule en douceur. »
Pour Hatem Abou Dalal, propriétaire d’un commerce à Gaza, les prix sont élevés car trop peu de marchandises entrent dans l’enclave. Les représentants des autorités s’efforcent de remettre l’économie en ordre en patrouillant pour contrôler les marchandises et fixer les prix, dit-i
« ON SE CROIRAIT À LA BOURSE »
Tandis qu’il fait ses courses dans le camp de Nousseirat, dans le centre de la bande de Gaza, Mohamed Khalifa souligne que les prix fluctuent sans cesse malgré les tentatives de les réguler. « On se croirait à la Bourse », dit-il.
« Les prix sont élevés. On n’a pas de revenus, les circonstances sont difficiles, la vie est dure et l’hiver arrive », se lamente-t-il.
Le plan parrainé par le président américain Donald Trump a permis l’instauration d’un cessez-le-feu le 10 octobre, après deux ans de guerre dévastatrice dans l’enclave, et la libération des derniers otages vivants enlevés lors de l’attaque du Hamas en Israël le 7 octobre 2023.
Il prévoit la mise en place d’une autorité de transition, le déploiement d’une force de stabilisation internationale, le désarmement du Hamas et le lancement de la reconstruction du territoire.
Reuters, citant de multiples sources, a toutefois rapporté cette semaine qu’une partition de fait de la bande de Gaza semblait de plus en plus probable, l’armée israélienne restant déployée dans plus de la moitié du territoire alors que la mise en oeuvre du plan s’enlise.
L’intégralité quasiment des deux millions d’habitants de l’enclave vivent dans des zones tenues par le Hamas, qui a pris le contrôle du territoire en 2007 après un conflit avec l’Autorité palestinienne et le Fatah du président Mahmoud Abbas.
Ghaith al-Omari, chercheur associé au Washington Institute, juge que les actions du Hamas visent à montrer aussi bien à la population qu’aux puissances étrangères qu’il ne peut pas être ignoré.
« Plus la communauté internationale attend, plus le Hamas s’enracine », dit-il.
Interrogé sur les activités attribuées au Hamas telles que la levée de taxes sur certaines marchandises, un porte-parole du département d’Etat américain a répondu: « C’est pourquoi le Hamas ne peut pas gouverner et ne gouvernera pas Gaza. »
Un nouvel exécutif pour Gaza pourra être formé une fois que le conseil de sécurité des Nations unies aura endossé le plan Trump et la création d’une force internationale progresse, a-t-il ajouté.
LE HAMAS « VOIT ET ENREGISTRE TOUT »
L’Autorité palestinienne, installée en Cisjordanie, souhaite quant à elle avoir son mot à dire sur le futur exécutif pour Gaza tandis qu’Israël exclut de la laisser reprendre le contrôle de l’enclave.
Pour Munther al Hayek, porte-parole du Fatah à Gaza, les initiatives du Hamas « donnent une claire indication sur le fait que le Hamas veut continuer à gouverner ».
Dans les secteurs tenus par Israël, de petits groupes de Palestiniens qui s’opposent au Hamas sont parvenus à s’implanter et représentent un défi latent.
Même si l’aide afflue en plus grande quantité depuis le cessez-le-feu, les Gazaouis continuent de vivre dans des conditions éprouvantes.
Un importateur en vue de produits alimentaires dans la bande de Gaza rapporte que le Hamas n’a pas rétabli une taxation complète des marchandises mais qu’il « voit et enregistre tout ».
Les hommes du mouvement islamiste ont érigé des barrages sur les routes, où ils arrêtent les camions et interrogent les chauffeurs, dit ce commerçant souhaitant rester anonyme. Les marchands qui manipulent les prix subissent des amendes, ce qui contribue à contenir leur envolée même s’ils restent bien plus élevés qu’avant la guerre et que nombre d’habitants se plaignent de ne pas avoir d’argent.
L’administration du Hamas employait jusqu’à 50.000 personnes, notamment des policiers, dans l’enclave avant le 7-Octobre. Des milliers d’entre eux ont été tués mais ceux qui ont survécu sont prêts à reprendre leur travail dans une nouvelle administration, dit Ismaïl al Thaouabta.
Le Hamas a continué à verser leurs salaires pendant la guerre, tout en les uniformisant à 1.500 shekels (400 euros) par mois, selon des sources au sein du mouvement et des économistes. Il semble pour cela avoir puisé dans des réserves d’argent liquide, selon un diplomate.
L’exécutif du Hamas a remplacé quatre gouverneurs régionaux tués au cours du conflit, disent des sources proches du mouvement. Un responsable du Hamas a déclaré que 11 membres de son bureau politique, décédés, avaient aussi été remplacés.
Pour Moustafa Ibrahim, militant politique dans la bande de Gaza, le Hamas profite des retards dans la mise en oeuvre du plan Trump « pour renforcer son pouvoir ». « Sera-t-il autorisé à continuer ? Je pense qu’il continuera jusqu’à la mise en place d’un gouvernement alternatif », dit-il.
(avec Ali Sawafta à Ramallah et Tom Perry, rédigé par Tom Perry, version française Bertrand Boucey, édité par Sophie Louet)
