Personne n’a voulu écouter les « guetteuses du 7 octobre » !

Article rédigé parIsabelle Malin

Alors que le conflit meurtrier entre Israël et le Hamas pourrait entrer dans sa troisième année, France 5 diffuse dimanche soir un documentaire qui revient sur la funeste journée du 7 octobre 2023, qui a fait basculer le Proche-Orient dans un nouveau chapitre sanglant de son histoire.

« On a tout dit, on a prévenu tout le monde que quelque chose d’important allait se passer (…) Je suis en colère parce qu’ils n’ont écouté personne », fulmine Maya Desiatnik, une jeune Israélienne qui a échappé de peu à la mort le 7 octobre 2023, lors des attaques terroristes du Hamas. La soldate de 21 ans était alors chargée de surveiller la frontière avec la bande de Gaza, en tant que guetteuse dans l’unité 414, à la base d’observation de Nahal Oz.

Quelques semaines avant la tragédie, avec d’autres jeunes recrues, elle alerte à plusieurs reprises les services de renseignement que des activités suspectes de miliciens du Hamas se déroulent le long de la clôture qui sépare les deux territoires. Or ni la sécurité intérieure israélienne ni l’état-major ne prennent en compte leurs avertissements.

L’histoire de la jeune militaire, ainsi que celle de ses camarades, dont quinze ont perdu la vie et sept ont été prises en otage lors de cet assaut, est retracée dans un documentaire inédit, intitulé Les guetteuses du 7-Octobre, réalisé par David Korn-Brzoza et diffusé dimanche 5 octobre à 21h05 sur France 5.

Illustré d’images tournées par des terroristes du Hamas, par l’armée israélienne et par les jeunes femmes elles-mêmes, le film revient sur cette journée sanglante vécue par les observatrices grâce au témoignage de survivantes et de familles de victimes. Il tente d’expliquer, avec l’expertise de spécialistes du renseignement israélien, comment cette attaque terroriste hors norme a pu se produire malgré les différentes alertes.

Les premières victimes du Hamas

Eyal Eshel a perdu sa fille Roni le 7-Octobre alors qu’elle effectuait son service militaire obligatoire, comme Maya Desiatnik, à la base de Nahal Oz, située à 700 mètres de l’enclave palestinienne. Ce jour-là, Roni Eshel est à son poste de guetteuse. Sous la supervision d’un commandant de Tsahal, elle scrute la frontière et évalue s’il y a un risque de dépôt de bombe à sa lisière, ou la menace d’une incursion de commandos du Hamas sur le sol israélien. Tout cela grâce à des caméras pouvant aller jusqu’à 600 mètres de distance.

Au petit matin, des dizaines de miliciens palestiniens réussissent à pénétrer dans la base militaire. Ils tuent tous les soldats présents et mettent le feu au poste de contrôle dans lequel se trouve Roni. Tous ses occupants périssent dans l’incendie. « Elles savaient tout. Plusieurs mois avant, elles ont tout vu grâce aux caméras et elles ont écrit ce qui se passait de l’autre côté de la frontière, mais personne n’a voulu les écouter », déplore Eyal Eshel.

Un documentaire révèle que des jeunes soldates avaient averti les autorités israéliennes que la situation était explosive à la frontière.
Un documentaire révèle que des jeunes soldates avaient averti les autorités israéliennes que la situation était explosive à la frontière. (Roche Productions)

D’autres parents de jeunes femmes qui ont disparu dans cette base de Nahal Oz, confirment les propos d’Eyal Eshel. « Une semaine avant le 7-Octobre, Noa nous a dit : ‘Papa, après les fêtes, il y aura la guerre' », explique Avi Marciano, dont la fille, Noa, était aussi guetteuse dans ce camp militaire. Durant les mois qui précèdent les attentats, les jeunes soldates racontent à leur famille qu’elles remarquent des provocations fréquentes et de plus en plus inquiétantes de la part de membres du Hamas à la frontière avec Gaza.

« On était en alerte permanente dans la salle de contrôle. Des hommes armés s’approchaient de la clôture et tiraient vers nous. Ou alors, c’étaient des groupes qui voulaient détruire la barrière et y déposer des explosifs. »Margareth Weinstein, ex-guetteuse

Dans le documentaire  » Les guetteuses du 7-Octobre »

Une situation inquiétante dont est également témoin Maya Desiatnik. « Il y avait des patrouilles composées de quarante ou cinquante terroristes, des patrouilles régulières (…) Ils allaient du nord au sud de Gaza et s’arrêtaient à chaque poste. Ils se mettaient en hauteur pour nous observer », rapporte la jeune femme qui consigne scrupuleusement ces informations afin qu’elle remonte à sa hiérarchie. « Cela n’a pas été le cas, je ne sais pas pourquoi, » se désole-t-elle.

Deux ans après le 7-Octobre, les familles tentent toujours de comprendre pourquoi leurs filles n’ont pas été entendues. Certains ont émis l’hypothèse que les autorités sont restées sourdes aux différentes alertes parce qu’elles venaient de femmes et non d’hommes. Le réalisateur du documentaire, David Korn-Brzoza, dément cette analyse, comme il l’explique à franceinfo. « J’ai posé la question aux guetteuses survivantes et, selon elles, elles n’ont pas été écoutées car elles n’étaient pas des officiers, mais de simples troufions. »

Une aberration pour Sapir Nissani, dont la sœur Shahaf a également perdu la vie dans la base de Nahal Oz. « On les a désignées pour être les yeux de l’armée. (…) Mais dans ce cas, si vous leur donnez une responsabilité aussi importante, alors écoutez-les. C’est logique, non ? », s’agace-t-elle dans le documentaire. 

« Le mépris de l’ennemi, l’arrogance et la suffisance »

Lors des manifestations monstres réclamant la libération des otages retenus à Gaza, la responsabilité de l’armée, des services de renseignement et de la police, et plus généralement celle du gouvernement israélien, est pointée du doigt. « Ils n’avaient pas le bon logiciel pour décrypter les signes, assure David Korn-Brzoza. Les autorités savaient qu’il allait se passer quelque chose puisque la veille, dans la nuit, il y avait eu une réunion de l’état-major. Mais aucun n’a dit : ‘Le Hamas va attaquer.’ Car pour eux, s’ils attaquaient, ce serait juste quarante terroristes, pas 4 000 comme cela a été le cas le 7-Octobre. »

Un documentaire retrace la journée du 7 octobre vécue par de jeunes soldates israéliennes chargées de surveiller la frontière avec la bande de Gaza.
Un documentaire retrace la journée du 7 octobre vécue par de jeunes soldates israéliennes chargées de surveiller la frontière avec la bande de Gaza. (Roche Production

Selon d’anciens dirigeants militaires, d’ex-conseillers du Mossad, le service de renseignement extérieur israélien, ou du Shin Bet, le service de renseignement intérieur, le sentiment d’invincibilité de l’Etat hébreu est la cause du désastre du 7-Octobre. 

« Le Hamas a organisé un entraînement pour simuler la prise de notre base de Nahal Oz (…) Le Shin Bet le savait. C’est là que s’est manifestée une triple erreur : le mépris de l’ennemi, l’arrogance et la suffisance. On s’est dit : ‘C’est un petit groupe, il ne peut pas vraiment faire de mal à Israël.' »Mika Kobi, ex-expert du Shin Bet

Dans le documentaire  » Les guetteuses du 7-Octobre »

La vigilance des autorités israéliennes se porte, à l’époque, davantage sur le nucléaire iranien, qui menace dangereusement l’existence même de l’Etat d’Israël, contrairement aux combattants du Hamas, considérés comme étant trop faibles et trop corrompus. « L’attention était complètement focalisée sur l’Iran (…) puis, dans cet ordre-là : sur le Hezbollah au Liban, ensuite sur la Cisjordanie et ses problèmes sécuritaires majeurs, et en dernier sur le Hamas et Gaza », argue Doron Avital, ex-commandant d’une unité d’élite de l’armée israélienne.

Une erreur de jugement nourrie par les manipulations d’un des chefs de la branche armée du Hamas, et cerveau du 7-Octobre, Yahya Sinwar. Ce dernier avait signé, en 2021, un cessez-le-feu avec l’Etat hébreu et semblait vouloir normaliser le Hamas. C’est en tout cas ce que pensait le haut commandement israélien. « L’histoire militaire est pleine de surprises, résume l’ex-directeur du Shin Bet, Ami Ayalon, dans le documentaire. Tout repose sur une grille de lecture. (…) Tsahal et l’Etat d’Israël ont bâti une hypothèse : ‘Nous connaissons le Hamas et il n’attaquera pas parce qu’il veut rester au pouvoir à Gaza.' »