
La vieille blague raconte ceci : un inconnu aborde un autre homme dans la rue et lui propose une nuit de plaisir avec la princesse Diana. Le second, incrédule, refuse d’abord. Mais finalement, la curiosité et le désir l’emportent sur son scepticisme. Il tend cinquante dollars. Le premier inconnu empoche l’argent et s’exclame joyeusement : « Parfait — allons maintenant essayer de convaincre Lady Di. »
Voilà l’histoire burlesque du Liban avec Tom Barrack : il a vendu ce qui ne lui appartenait pas, a encaissé son prix d’avance et a laissé le pays avec rien d’autre que l’embarras. En somme, telle a été toute l’approche de Barrack vis-à-vis du Liban.
Le fiasco Barrack
L’envoyé américain est arrivé à Beyrouth en promettant que l’on pouvait pousser Israël à faire des concessions : un arrêt des hostilités, un allègement des assassinats ciblés, peut-être même un retrait progressif des points occupés. Il a assuré au Premier ministre Nawaf Salam que la diplomatie pouvait aboutir.
Il s’est ensuite rendu en Israël. Et lorsqu’il est revenu, il n’avait rien. Pas une seule concession concrète. Les promesses qu’il avait agitées se sont évaporées. À la place, il est revenu avec des conditions israéliennes qu’aucun dirigeant libanais ne pouvait accepter : que les villages du Sud détruits par les bombardements demeurent inhabitables et soient transformés en une soi-disant « zone économique » d’entrepôts et d’usines ; qu’Israël poursuive en permanence ses survols de l’espace aérien libanais ; que le Liban se désarme avant que sa souveraineté ne soit rétablie.
La frustration de Barrack, revenu les mains vides, était visible. Dans un moment d’agitation, il a déversé sa colère sur des journalistes enthousiastes — les qualifiant « d’animalistiques ». Le tollé a été immédiat. La presse beyrouthine et la classe politique ont été scandalisées. Les diplomates sont restés stupéfaits. Le respect des médias du pays hôte est la première règle de la diplomatie. En une seule explosion verbale, Barrack a révélé à la fois son absence de discipline et le mépris qui animait sa mission.
Et ici encore, l’histoire de Lady Di s’applique : Barrack avait promis au Liban ce qu’il ne contrôlait pas, empoché la bonne volonté d’avance, et lorsqu’il n’avait rien à montrer, il s’en est pris à ceux qui osaient le souligner.
L’intervention de Graham
Si l’humiliation de Barrack ne suffisait pas, les propos brutaux du sénateur Lindsey Graham, lors de sa visite avec une délégation du Congrès, ont balayé les derniers faux-semblants. Après avoir réduit les Libanais à de « grands » restaurateurs, Graham a abandonné toute la rhétorique du « pas à pas » de Barrack. Il a déclaré sans détour aux responsables libanais : « Ne me parlez pas des Israéliens. Vous devez démanteler le Hezbollah et alors nous parlerons. En dehors de cela, nous avons peu de choses à discuter. »
Ce n’était pas un lapsus. C’était une révélation. Barrack et Morgan Ortagus entretenaient l’illusion du gradualisme — celle de compensations et de réciprocité. Graham a balayé tout cela. Pour lui, et pour beaucoup au Congrès, il n’y a qu’une exigence : le Liban doit démanteler le Hezbollah d’abord, sans conditions. Ce n’est qu’ensuite — si jamais — que le comportement d’Israël serait abordé.
La contradiction a laissé le Premier ministre Salam dans une impasse. D’un côté, des envoyés qui faisaient miroiter des promesses de réciprocité aussitôt évaporées. De l’autre, des sénateurs qui levaient le voile et affirmaient clairement la position américaine : le Liban doit se rendre en premier, seul.
Et pourtant, comme le rappellent les experts, la perception compte. L’honorable sénateur Graham devrait examiner de plus près ce que les stratèges appellent la psychologie adversariale. Lorsqu’il affirme que « le Liban a perdu la guerre », il serait approprié de vérifier si le Hezbollah — et l’Iran — le pensent également. S’ils ne le pensent pas, alors le conflit n’est pas terminé. Déclarer une victoire tandis que l’adversaire la nie, c’est une autre illusion façon Lady Di : encaisser le prix sans jamais conclure l’accord.
Promesses vides, courtiers mensongers
Comme dans la blague de Lady Di, Barrack a vendu des promesses qu’il ne pouvait pas tenir. Il a collecté les concessions politiques du Liban à l’avance, tout en laissant le pays les mains vides.
Et comme un courtier véreux qui convainc une famille de quitter sa maison sous la promesse d’une vente lucrative, pour revenir quelques jours plus tard annoncer que l’acheteur s’est désisté, Barrack demande au Liban d’abandonner sa souveraineté, de démanteler sa défense, et d’accepter le risque de destruction — tandis qu’Israël empoche les bénéfices sans jamais signer un acte contraignant.
Les deux analogies — Lady Diana et le courtier véreux — illustrent la même dynamique : le Liban paie d’avance, et lorsque les promesses s’effondrent, il se retrouve humilié, déplacé et contraint de ramasser les morceaux d’une guerre civile.
Le piège stratégique
La soi-disant contre-offre israélienne confirme le piège. Au lieu d’un retrait clair des points occupés comme stipulé dans l’accord de cessez-le-feu, Israël exige que les bandes frontalières restent dépeuplées. Au lieu de respecter l’espace aérien, il insiste pour formaliser ses survols quotidiens. Au lieu d’un cadre fondé sur Taëf et la résolution 1701 du Conseil de sécurité, Israël veut que le Liban se désarme d’abord.
Axios a confirmé que Washington lui-même avait avancé l’idée de « zone économique ». La presse libanaise a rapporté que soit Israël exige des conditions proches de la capitulation, soit il gagne du temps pour se regrouper en vue d’une guerre plus large visant à annexer une partie du Liban dans un « Grand Israël » — déclaré ouvertement par Netanyahu lui-même.
Une fois de plus, le Liban risque de se retrouver piégé dans la farce Lady Di : contraint de payer ses concessions d’avance, tandis que l’autre partie tergiverse et ne livre jamais.
Coûts internes et régionaux
La bévue du Premier ministre a enflammé toutes les factions. Le Hezbollah crie à la trahison ; Nabih Berri se pose faussement en défenseur des intérêts chiites ; les fédéralistes chrétiens ravivent leurs fantasmes ; les sunnites sont divisés et inquiets ; la société civile est désabusée.
Pourtant, tous partagent une même crainte : la descente dans la guerre civile. Personne ne la souhaite vraiment. Tous se souviennent du sang et des ruines. Cette peur de l’effondrement est son dernier levier. Pour l’utiliser, il doit revenir au cadre qui conserve encore une légitimité large : le séquençage de Taëf, les obligations de la résolution 1701, et l’autorité de l’Armée libanaise.
À l’extérieur, l’échiquier est tout aussi brutal. Israël se prépare à un second round ; Netanyahu rêve d’un Grand Israël sans même chercher à le dissimuler. Washington enrobe tout cela de mots comme « zones économiques ». L’Europe détourne le regard. Les capitales arabes sont divisées : certaines souhaitent la fragmentation pour blesser l’Iran, d’autres craignent la contagion. L’Iran a été clair : le Hezbollah reste son « capital stratégique ». Le risque d’une guerre régionale est réel.
Ici aussi, le Liban risque de devenir la chute de la blague Lady Di — le pays qui a payé le prix avant même que l’accord n’existe.
Ce que doit faire le Premier ministre
La voie à suivre est difficile mais claire. Le Premier ministre devrait profiter du reniement israélien sur l’accord de cessez-le-feu pour corriger sa trajectoire, sortir de l’impasse dans laquelle il s’est lui-même enfermé, et revenir aux principes capables de protéger le Liban d’une guerre civile.
Réaffirmer le séquençage : le Liban doit réaffirmer Taëf et la résolution 1701. Israël doit se retirer de tous les villages et cesser ses violations avant toute reprise du dialogue national sur la défense.
Reprendre sans délai la pleine application de Taëf : telle qu’incorporée dans la Constitution et le Pacte national.
Renforcer l’Armée : charger l’Armée libanaise d’élaborer un plan public pour sécuriser la frontière, repeupler les villages et intégrer toutes les capacités défensives dans une doctrine unifiée.
Rejeter la zone tampon : pas de bandes dépeuplées, pas de façades industrielles. La reconstruction doit signifier le retour des habitants.
Conditionner les négociations : chaque pas libanais doit être lié à une conformité israélienne vérifiable — retrait, cessation des frappes, et surveillance internationale.
Communication : insister sur la souveraineté et non sur des agendas confessionnels. Prévenir les capitales arabes que la partition ne sert qu’Israël. Exiger de la France et des États-Unis qu’ils fassent respecter 1701 et Taëf avant de demander davantage.
Se préparer aux imprévus : être prêt à gérer la crise si Israël escalade, si des jihadistes infiltrent, ou si des séparatistes s’agitent.
Conclusion : la leçon Lady Diana
La navette Barrack–Ortagus s’est effondrée. Ils sont revenus d’Israël les mains vides, ont renié leurs promesses, et ont quitté Beyrouth avec des menaces et des insultes. L’éclat de Barrack — traitant des journalistes libanais « d’animalistiques » — a révélé le mépris derrière sa mission. Les propos crus de Lindsey Graham ont révélé la véritable ligne de Washington : démanteler le Hezbollah d’abord, sinon il n’y a rien à discuter. Le cadre supposé du « pas à pas » s’est évaporé.
Le Liban fait une fois de plus face à un choix brutal entre souveraineté et reddition. Le Premier ministre a affaibli sa position en inversant le séquençage de Taëf. Mais il peut encore corriger sa trajectoire. Il doit tenir bon sur Taëf, sur la résolution 1701 et avec l’Armée. Il doit refuser de troquer ses villages et son ciel contre une paix factice.
Comme l’illustre l’histoire de Lady Diana, Tom Barrack a encaissé les concessions du Liban sans jamais obtenir le consentement d’Israël. Et comme le montre l’analogie du courtier véreux, il demande au Liban d’abandonner sa souveraineté en échange de promesses qui ne se matérialiseront jamais.
Le Liban ne peut pas se permettre d’être la chute de cette farce. Voilà l’histoire burlesque du Liban avec Tom Barrack : il a vendu ce qui ne lui appartenait pas, encaissé son prix d’avance et laissé le pays avec rien d’autre que l’embarras. En somme, telle a été toute l’approche de Barrack vis-à-vis du Liban.
Le choix est clair : souveraineté ou reddition. Le Premier ministre doit choisir la souveraineté.
G.Descedres