Ukraine-Russie : il faut négocier maintenant et faire la paix !

Quand va-t-on stopper les discours de guerre et appeler à des négociations ? Certes, il y a un an, on ne pouvait laisser l’agression russe sans réagir en soutenant l’Ukraine ; ce soutien a permis aux Ukrainiens de résister à l’armée russe et de dégonfler l’aura d’une armée qui avait vaincu le nazisme. Aujourd’hui, malgré toute l’aide militaire qu’ils ont reçue, les Ukrainiens n’avancent plus et ont perdu beaucoup d’hommes. Les deux parties en présence ont mesuré leurs limites. Bien sûr, les États-Unis sont prêts à soutenir cette guerre… jusqu’au dernier Ukrainien : ils ont tellement intérêt à la guerre ! Maintenant que l’Europe boycotte le gaz et le pétrole russes et que le gazoduc Nord Stream 1 a été détruit, probablement par les Américains, c’est leur gaz de schiste, plus cher, que l’Europe va acheter. L’OTAN que Macron diagnostiquait, il y a deux ans, « en état de mort cérébrale » est ressuscitée, plus puissante que jamais. Plus question d’une Europe indépendante de Washington : la peur de la Russie est revenue, comme au bon temps de la guerre froide.

Pourtant, les rafales de sanctions contre la Russie qui devaient mettre à genoux l’économie russe n’ont fait reculer le PIB du pays que de 2,1 à 2,5 %. Pire, ou mieux encore, l’économiste Jacques Sapir, spécialiste de la Russie, explique de manière remarquable comment ce pays est en train de se tourner vers l’Asie où elle va trouver tous les marchés qu’elle a perdus à l’Ouest[1]. Les conséquences géopolitiques seront graves : nous aurons contre nous, Européens, le bloc Chine-Russie et serons condamnés à rester les vassaux des États-Unis.

Les peuples ont-ils intérêt à soutenir cette guerre ? En Europe, les sanctions contre la Russie nous ont frappés durement : hausse des prix démesurée du gaz et le prix du pétrole qui ne cesse de monter menace non seulement les particuliers, mais aussi les petites entreprises et l’emploi. Quant à l’électricité qui, elle, pourtant, ne vient pas de Russie, l’Union européenne a décidé de l’aligner artificiellement sur les prix du gaz ! De ce fait, tous les produits, en particulier alimentaires, augmentent[2]. En France, comme ailleurs en Europe, et même en Allemagne, des millions et des millions de familles doivent déjà recourir, cet hiver, aux banques alimentaires et ne pas se chauffer. Et ce sera bien pire l’hiver prochain parce que nos stocks d’hydrocarbures accumulés avant les sanctions seront épuisés. Mais que dire des peuples, en particulier en Afrique, oubliés une fois de plus, qui ne peuvent plus acheter de pain ?

En revanche, des entreprises du CAC40 ont vu leurs profits exploser sans être mis à contribution. Bénéfices records et pas seulement de TotalEnergie. Relevons Engie (mais qui devrait investir dans les énergies renouvelables), le groupe automobile Stellantis, des banques comme BNP Paribas, Crédit Agricole, Axa et, en très bonne place, les groupes de luxe : LVMH, L’Oréal, Hermès ! Si la guerre appauvrit les classes populaires européennes, elle enrichit encore plus une toute petite minorité. On ne s’étonnera donc pas du discours de Macron : pas de taxation des bénéfices des grandes firmes et continuons la guerre « jusqu’à la victoire ». D’ailleurs, depuis quelques jours, de grandes manœuvres militaires françaises, appelées Orion, sont engagées dans le Sud-Ouest, avec de 7 000 à 12 000 hommes, mais seuls les journaux du Sud-Ouest ainsi que Ouest-France et La Croix en ont parlé jusqu’à maintenant ! Quand donc France-Inter, si belliqueux, en parlera-t-il à ses auditeurs ?

Non, les peuples n’ont pas intérêt à la guerre

Tandis que les Américains ne l’ont jamais connu sur leur sol, nous savons ce qu’est la guerre après les deux guerres mondiales ; il est plus que temps de chercher une solution qui permette aux deux belligérants de ne point perdre la face. La Russie, responsable du déclenchement de la guerre, a des raisons de se sentir menacée par l’avancée de l’OTAN jusqu’à ses frontières. Même après l’effondrement de l’URSS, alors que le pacte de Varsovie a disparu, l’OTAN et l’UE a considéré la Russie comme une ennemie. Faire la paix, c’est chercher un compromis et non mener la guerre « jusqu’à la victoire » comme Zelensky veut nous y contraindre. Sûr du soutien étatsunien, le président ukrainien multiplie maintenant ses tournées en Europe, car il sait bien que là est le maillon faible ; ce sont les Européens qui peuvent craindre, demain, que les armes sophistiquées qu’on lui aura livrées atteignent la Russie en profondeur, provoquant une riposte russe hors d’Ukraine, étendant la guerre dans un pays ou plusieurs pays de l’OTAN et déclenchant l’application de l’article 5 : « Une attaque contre un membre de l’Alliance est considérée comme une attaque dirigée contre tous les Alliés ».

Il est plus que temps de stopper cette guerre. En Allemagne, plus de 600 000 Allemands viennent d’ailleurs, il y a quelques jours, de signer une pétition lancée à l’initiative d’un député de gauche, d’un ancien vice-président de la Commission européenne, d’hommes politiques comme Oskar Lafontaine, de journalistes et d’intellectuels. La pétition affirme :

« Négocier signifie faire des compromis des deux côtés afin d’éviter des centaines de milliers de morts supplémentaires, voire pire encore ». Et d’ajouter que chaque jour « nous rapproche d’une troisième guerre mondiale ». Mais les journaux télévisés et les radios français n’en ont pas dit un mot puisque tous, sans exception, se livrent à un bourrage de crâne en faveur de la guerre. On accuse Poutine d’être un dictateur et on a raison, mais où en est la liberté d’expression en France, pays censé être démocratique, puisque notre information est à ce point sous contrôle ?

Depuis le début de la guerre, le pape François dénonce une « guerre absurde et cruelle ». Le 24 février, il déclarait qu’« une victoire construite sur des ruines ne sera jamais une véritable victoire ». Et : « Je lance un appel à ceux qui détiennent l’autorité sur les nations pour qu’ils fassent des efforts concrets pour mettre fin au conflit, pour parvenir à un cessez-le-feu et entamer des négociations de paix ». Le pape François se propose d’aller à Moscou et le président brésilien Lula vient de déclarer à CNN : « Nous devons mettre sur pied un groupe de personnes, un groupe qui parle de paix et qui montre que la paix est la seule chose qui peut restaurer la dignité de la vie humaine. C’est ce que les Russes doivent comprendre et que le peuple ukrainien doit comprendre“. “Maintenant, je crois qu’il nous faut créer une alternative, parce que la Russie n’est pas n’importe quel pays. Il faut lui donner un minimum de conditions pour arrêter la guerre”Faisant partie des BRICS, étant donc un partenaire de la Chine et de la Russie, le Brésil de Lula ne peut être seul un intermédiaire – il n’en a d’ailleurs pas la puissance –, mais suggère « un groupe de personnes qui parle de paix ».

En France, le président de la Rada, l’Assemblée ukrainienne, était reçu à l’Assemblée nationale, le 31 janvier dernier. Tous les présidents des groupes parlementaires s’exprimèrent, du Rassemblement national à La France insoumise ; tous ont tenu le même discours va-t-en-guerre, sans réserves, y compris La France insoumise par la voix de Mathilde Panot. Accablant. On me dit qu’il ne faut pas diviser ceux qui combattent pour les retraites des Français ! En fait, les bellicistes de gauche ont osé s’exprimer. Le 24 février, Le Monde publiait une tribune demandant l’intensification des livraisons d’armes à l’Ukraine au nom du « combat antifasciste » ; la pétition était signée, entre autres, par Olivier Faure, Premier secrétaire du PS, par plusieurs députés PS dont Carole Delga, par plusieurs députés EELV dont Yannick Jadot. Mais, remarquons-le, elle n’est signée par aucun député communiste ni insoumis. La gauche est bien divisée sur ce conflit.

Dans notre pays où depuis plus d’un siècle, des écrivains et des scientifiques ont su élever leur voix à contre-courant de l’opinion, de l’affaire Dreyfus à la guerre d’Algérie et à celle du Vietnam, le discours guerrier sur l’Ukraine est devenu insupportable. À quoi bon s’acharner encore sur Poutine ? Qui a des illusions ? Hier, qui avait des illusions sur Saddam Hussein, ce dictateur irakien sanguinaire ? Pour justifier leur guerre, les États-Unis ont osé raconter à l’ONU un énorme bobard : l’Irak détiendrait des armes de destruction massive : les soldats américains ont cherché en vain les fameuses armes. Quant à la démocratie que les Américains allaient ramener en Irak, on sait ce qu’il en est. Pas plus qu’hier en Irak, la guerre n’est pas la solution.

Quand donc la gauche, la vraie gauche va-t-elle prendre la parole en faveur de la PAIX ? La droite française a toujours été proaméricaine, elle est ravie par cette guerre contre la Russie bolchevique. Mais la gauche, la vraie, pas celle du PS appelée SFIO en 1956 et qui, avec Guy Mollet, a donné les pleins pouvoirs à l’armée en Algérie, doit enfin élever la voix. Les peuples d’Europe n’en peuvent plus des morts et des sacrifices qu’on leur impose ; c’est eux qui imposeront à l’Union européenne de négocier et de faire la paix !

Martine Sevegrand, historienne