22 octobre 2024
Suite de l’Interview : Xavier Houzel en Dialogue avec Joëlle Hazard pour Trilogue News – Deuxième Partie
1°) Le président Macron a invité la communauté internationale à cesser toute livraison d’armes à Israël susceptibles d’être utilisées à Gaza et au Liban. N’est-ce pas un peu tardif, sélectif ? Un appel qui arrive au moment des frappes sur le Liban … Sinon faut-il y voir un acte majeur de la Politique Étrangère de la France en faveur de la question palestinienne et de l’équilibre des puissances au Moyen-Orient ?
La France ne vend plus d’armes à l’État Hébreu depuis la Guerre des Six Jours. De Gaulle avait estimé qu’Israël ne s’était pas servi de son armement d’origine française pour se défendre mais pour agresser, ce qui n’était pas « convenu ». L’apostrophe du Général est plus que jamais d’actualité : « Les Juifs… un peuple d’élite sûr de lui-même et dominateur… ». C’était un compliment, certes ; mais c’était surtout un avertissement. L’opération « Arche de Noé » vint mettre un terme à la totale confiance que la France était disposée à conserver à Israël. Netanyahou parle de « honte ». C’est malvenu.
La France reproche à Israël de s’être dérobé à toutes les solutions de cessez-le-feu qui lui ont été proposées à Gaza – ce qui lui aurait évité d’avoir à embraser le Liban, où le Hezbollah affichait sa solidarité avec les Palestiniens. Netanyahou n’a eu de cesse de prôner la guerre, à croire que ses services auraient laissé commettre un pogrom pour en tenir la cause. Il n’a jamais été question de compromis, comme si la solution dite « à deux États » était caduque et que c’était un gros mot. Le président du gouvernement espagnol est allé plus loin que les Français en reconnaissant la Palestine en tant qu’État indépendant : l’attitude française a été mesurée, c’est une réaction d’attente, respectueuse de la souveraineté de l’État Hébreu. Mais il est devenu patent qu’au mépris du Droit international, en dépit de l’engagement des pères fondateurs du pays, malgré les pressions extérieures et intérieures, le gouvernement Netanyahou convoite la totalité des territoires qu’Israël ne contrôle pas encore entre le Jourdain et la Mer Méditerranée. Une opposition frontale se servirait à rien – tout au moins pas maintenant – tellement la force militaire déployée est disproportionnée et tant les militaires israéliens sont décidés ! Ce que la France redoute dans l’immédiat est qu’Israël ne récidive le coup de la Guerre des Six Jours et que son armée n’attaque tous azimuts, sous prétexte que son existence est en danger – alors que ce n’est pas le cas. Pour avoir juré, il y a 45 ans presque jour pour jour (Noël 1969), qu’on ne l’y reprendrait plus, la France a le devoir de se défier aujourd’hui d’un gouvernement que son Extrême Droite obsessionnelle, galvanisée par la résistance de la population palestinienne à toute occupation supplémentaire, rend à la fois furieuse et aveugle.
Paris a, par ailleurs, toutes les raisons de se méfier des motivations américaines, qui ne sont ni les siennes ni celles de l’Europe continentale. Il ne s’agit plus seulement de la Palestine et du Liban, qu’Israël bombarde au-delà de l’utile et du tolérable, mais de l’Iran et, par un effet induit, pendant que Trump et Harris se disputent comme des charretiers, non seulement de la Jordanie et de l’Égypte, de la Syrie et de l’Irak, de la Turquie et du Caucase, du Golfe Persique, mais aussi et surtout de la Russie, qui est aux portes (avec l’Empire du Milieu au bout du bout des routes de la Soie) ! Il n’y va plus de la souveraineté d’Israël, mais de la paix mondiale.
2°) Croyez-vous toujours à une riposte féroce de Tsahal contre l’Iran ? Qu’attendent les Israéliens ? l’autorisation américaine pour atteindre un objectif donné ? Benny Gantz a évoqué « une réplique mortelle, précise, surprenante »
Je redoute cette riposte, d’abord parce que le gouvernement Netanyahou est forcené et ensuite parce que les Américains sont actuellement hors-sol. Beaucoup ne croient pas au manichéisme américain (disons « à leur notion du bien et du mal ») et pensent qu’Israël n’en fait qu’à sa tête ; c’est un grand classique, mais ils ont tort. En pleines élections présidentielles, le Département d’État ne décide plus (et le secrétaire d’État Antony Blinken n’y peut rien). Le Pentagone, en revanche, opère ; et qu’est-ce que racontent les militaires sinon des histoires de chantiers navals et d’usines de drones et de missiles, dont on dit – mais pour qu’ils aient la rage – que les Iraniens approvisionnent la Russie en plus de leurs protégés dans la région. Téhéran s’en défend, mais c’est en vain, et le gouvernement iranien n’est pas nécessairement crédible. Aussi, je crains le pire : un document de la National Geospatial-Intelligence Agency (NGIA), daté des 15 et 16 octobre, détaille les préparatifs israéliens d’une réponse à l’Iran, laquelle ne pourrait être faite qu’avec l’assentiment américain, voire d’ordre et pour compte de Washington ! Mais il se pourrait aussi qu’il s’agisse-là d’un leurre, d’un effet de manche dans une partie de billard à cinq bandes. Tout est dorénavant possible, vu les méthodes employées de nos jours pour mélanger les cartes.
3°) Croyez-vous au risque majeur d’une intervention de la Russie dans le conflit proche-oriental ?
Bien sûr! Et à la seconde même d’une frappe israélienne avec appui américain contre l’Iran – comme celle préavisée par le rapport du NGIA. Il y a plusieurs raisons à cela : Moscou et Téhéran sont tous les deux en bisbille avec l’Azerbaïdjan, dont l’aviation de l’État Hébreu a besoin pour atteindre l’Iran par ses propres moyens. Les Russes sont en Syrie, pays voisin dont Israël viole l’espace aérien tous les jours, ne serait-ce que pour y tester les défenses des deux bases russes de Tartous et de Hmeimim. La flotte russe compte une dizaine de navires en permanence en Mer Méditerranée orientale ; et Poutine a dit NIET à toute tentative sérieuse d’Israël de s’en prendre à l’Iran. Le fait nouveau est que les Israéliens sont effarés de constater soudain que les missiles anti-char du Hezbollah sont d’origine russe et pas de fabrication iranienne ! La question se pose de savoir qui a donné de tels bijoux aux fedayin Libanais ? Les marins russes ne sont pas forcément rassurés, vu la manière dont les Ukrainiens ont su faire usage en Mer Noire de robots pour couler leurs vaisseaux les uns après les autres et parce que la Syrie pourrait être le talon d’Achille de la Russie ! Mais les pilotes des derniers Soukhoï Su-57 attendent d’en découdre et de mettre au tapis les F16 israéliens qui les narguent. Comme dans ce genre de situation il est préférable de tirer les premiers… il vaut mieux rester sur ses gardes. L’Iran se retire prudemment de ses positions syriennes au fur et à mesure que la Russie s’y incruste de plus belle en envoyant des « troupes au sol » jusques à Idlib. Les stratèges américains et leurs « serveurs » de Tel-Aviv pourraient être tentés de frapper Moscou là où le bât le blesse.
4°) L’objectif libanais est donc plus tentaculaire que celui de Gaza, et déjà à de multiples circonvolutions…
L’évènement du jour est l’annonce d’échanges de renseignements stratégiques, de transferts de technologies anti-drones entre les services israéliens et ukrainiens. Ces derniers discutent désormais à tous les niveaux. La Guerre du Liban met en cause les Nations Unies (la Finul) et les deux États que sont le Liban et la Syrie (au Golan) avec leurs alliés. Cela clarifie la situation en légitimant l’intervention de tiers, celle de la France notamment, et cela pourrait aussi bien faciliter une sortie de crise que l’inverse. Attendons le 5 novembre, sachant à quel point l’ingérence russe agit en profondeur dans les affaires américaines, comme le documentaire d’Antoine Vitkine vient de le rappeler. Il n’y a pas d’antagonisme particulier entre Juifs et Russes, c’est désormais une affaire géostratégique à caractère global sans rapport avec la survie d’Israël, qui dépasse très largement la question palestinienne pourtant au centre du débat. En refusant de régler par un cessez-le-feu à Gaza la double Guerre de Palestine et du Liban et en attaquant l’Iran « par-dessus le marché », Israël prend le double risque de provoquer une guerre civile dans le pays du Cèdre (ce que la France ne peut pas les laisser faire) et d’entraîner le reste du monde dans un chaos total. Il n’est pas possible que les dirigeants américains ne soient pas actuellement conscients de la responsabilité qui serait alors la leur.
Le rapprochement Mossad-Kiev qui donne des sueurs froides à Moscou
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu lors de la 78e session de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, le 19 septembre 2023. © Ukrainian Presidential Press Service/Handout via Reuters
4°) Pourrait-on imaginer une reddition de l’Iran après une frappe telle qu’on pourrait l’imaginer ?
Les Américains ont quitté l’Afghanistan ! On n’a pas parlé de reddition. Et puis, ils ont lâché leurs supplétifs. Au moment où son propre régime est fragilisé de l’intérieur, l’Iran pourrait demain lâcher ses proxys après avoir fait le bilan de ce qu’ils lui coûtent par rapport aux avantages qu’ils en retirent… La République Islamique d’Iran ferait ainsi le choix de l’Extrême-Orient. L’Occident y aurait tout à perdre : le JPCOA est déjà cadavérique et la Chine progresse à pas de géant le long de la Belt & Silk Road. En pays conquis. Les sanctions sont la plus belle « CONNERIE AMÉRICAINE » du XXIème siècle. Le chant des BRICS s’accorde et se confond avec le chant du cygne du Dollar ! Le retour éventuel de Donald Trump sur l’échiquier mondial pourrait « renverser la table », bouger les frontières (Crimée/Donbass, Arménie/Azerbaïdjan, Israël/Palestine, Corée, Taïwan, etc.), briser l’élan européen (c’est fait), disperser les monarchies pétrolières (c‘est presque fait : l’Arabie saoudite n’a plus le sou), atomiser l’Afrique, ethnie après ethnie, sous un prétexte de recherche d’identité (junte après junte). Quelque chose de suicidaire.
Les proxy’s de part et d’autre auront alors rempli auprès des Russes (voici que les Nord-Coréens s’en mêlent), des Perses et des Américains eux-mêmes (dont Israël est le « féal server ») le rôle que les Barbares ont joué auprès des Romains. Vous me direz que cela devait arriver et qu’il fut un temps où l’Amérique était une « projection » (un projet, plus exactement) de la France et de l’Angleterre ! Le fin mot de l’Histoire est que le monde est aujourd’hui malade du syndrome de l’ingérence (de la manie de l’espionnage et de l’infiltration – le bal des faux-nez, des fake news et des faux-jetons). Je ne vous donne qu’un exemple : Bakou – les pieds dans l’eau de la Mer Caspienne – est parti en croisade contre la France en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte, en Martinique et jusqu’en Corse ! Que vient faire l’Azerbaïdjan dans cette galère ? Eh bien Bakou est un proxy ! mais de qui ? Je vous le donne en mille !
5°) Vous posez la question des ingérences ! Est-ce que vous ne succomberiez pas ici à la mode des théories du complot ? Nous sommes très loin de Gaza !
Prenez de la hauteur pour contempler le panorama dans son ensemble. L’Amérique paraît affaiblie : c’est faux, elle baigne dans le « cyber » et c’est effarant : ses espions savent absolument tout de nous. Netanyahou est écouté, l’Élysée est écouté, le Pape est écouté, Xi Jinping est écouté, le fond des mers est écouté et les étoiles avec. Trump et Poutine ont l’air de comparses : mais c’est vrai, parce qu’ils ont en commun l’Ubris. L’Union Européenne est désorientée – vous et moi passons notre temps à vérifier si les « informations » que l’on sert sont exactes ou trompeuses : peu importe, c’est le « narratif qui l’emporte, la propagande. Mais nous n’avons pas de raison de nous en faire : l’intelligence artificielle (IA) – qui vient à la rescousse par tous les pores de la terre – nous départagera bientôt.
Que nos députés donnent de nous-mêmes le spectacle affligeant que vous savez, qu’importe, nous ferons de l’IA notre prochain gouvernement ! Et qu’Israël, enfin, étende son territoire indéfiniment, c’est également sans importance : ses citoyens – virtuels ou non – sont déjà là. Depuis la nuit des temps. Ils sont célestes et nous sommes des mortels.