Banques et multiplicateur keynésien: Une occasion manquée pour la croissance au Liban

Par Francois Bacha, économiste

https://www.linkedin.com/in/francois-e-a3a3815

https://libanews.com/author/frenchy/

En collaboration avec Libnanews

https://libnanews.com/category/actualite-liban-politique-justice-economie-culture/economie/focusliban

Le multiplicateur keynésien repose sur l’idée qu’une injection de fonds dans l’économie – par le biais d’investissements publics, de consommation ou de transferts de la diaspora – génère un effet en chaîne, stimulant la production, la consommation et, en fin de compte, la croissance économique.vient de paraitre

Si la PMC est élevée, l’effet multiplicateur sera plus grand, car une plus grande part du revenu est réinjectée dans l’économie sous forme de consommation.

À l’inverse, si les individus épargnent davantage et dépensent moins (PMC faible), le multiplicateur sera plus faible.

Dans le contexte libanais, bien que le pays ne produise pas de dollars, les transferts de la diaspora libanaise, représentant chaque année des milliards de dollars, auraient pu en théorie alimenter un cycle de croissance dynamique, si ces fonds avaient été orientés vers des secteurs productifs. Cependant, la politique monétaire et financière de la Banque du Liban (BDL), avec la coopération des banques privées, a détourné ces ressources de leur potentiel productif pour les concentrer dans un système circulaire de financement de la dette publique, privant ainsi l’économie d’une création de richesse durable.

Le rôle des banques privées dans le blocage du multiplicateur keynésien

Les banques privées libanaises ont joué un rôle central dans le circuit financier qui a absorbé les fonds en dollars, limitant leur impact sur l’économie réelle. En attirant les capitaux de la diaspora, ces banques ont agi comme des intermédiaires financiers, canalisant ces fonds vers la BDL plutôt que vers des prêts productifs destinés aux entreprises locales ou aux infrastructures. Plutôt que de financer des acteurs économiques privés, les banques ont préféré déposer leurs fonds auprès de la BDL, attirées par les rendements exceptionnellement élevés que cette dernière offrait.

Ce modèle a créé un circuit fermé où les banques privées réalisaient des profits significatifs grâce aux intérêts versés par la BDL, sans assumer les risques associés à des prêts dans le secteur privé. Ce comportement a eu pour effet de « stériliser » l’argent de la diaspora, qui aurait pu contribuer à la croissance économique en renforçant le secteur productif.

Cette stérilisation a mené vers le mal hollandais que connait le Liban.

L’effet potentiel des dollars sur l’économie réelle

En 2019, les transferts de la diaspora libanaise ont représenté environ 7,4 milliards de dollars, soit 14% du PIB libanais (estimé à 52,5 milliards de dollars cette année-là). Dans un modèle classique, ces flux de capitaux auraient permis de financer des entreprises locales, de soutenir des projets d’infrastructures et de stimuler l’emploi, générant ainsi un effet multiplicateur keynésien. Si ces fonds avaient été investis dans des secteurs productifs, ils auraient favorisé une demande intérieure plus robuste, augmenté les revenus des ménages et dynamisé la consommation, tout en renforçant la résilience économique du pays face aux chocs externes.

Au lieu de cela, les banques commerciales, qui attiraient ces dollars en grande partie via des transferts de la diaspora, ont préféré les placer auprès de la BDL. Cela a eu pour conséquence de « bloquer » ces fonds dans un circuit fermé, car les banques préféraient garantir leurs marges avec les rendements élevés de la BDL, au lieu de financer des projets plus risqués dans le secteur privé. Cette captation des ressources financières a réduit l’effet multiplicateur keynésien en empêchant les dollars d’alimenter les flux de consommation et d’investissement dans l’économie réelle.

Les opérations d’ingénierie financière de la BDL (2016-2019) et l’assèchement de la masse monétaire

Entre 2016 et 2019, la Banque du Liban a mis en place des opérations d’ingénierie financière pour attirer davantage de dollars dans le système bancaire, en offrant aux banques des rendements exceptionnellement élevés, parfois jusqu’à 15% en dollars et plus de 30% en livres libanaises. En échange de leurs dépôts en devises, les banques recevaient des livres libanaises et des rendements élevés, un mécanisme qui a permis à la BDL de stabiliser temporairement la parité livre libanaise / dollar.

Cependant, ces opérations ont eu un coût économique massif : elles ont asséché la masse monétaire en dollars disponible pour financer des projets productifs, tout en renforçant la dépendance de l’économie libanaise vis-à-vis des capitaux circulant dans un cycle purement financier. Selon un rapport de l’Association des Banques du Liban, ces opérations ont contribué à l’accumulation de 80 milliards de dollars de passifs pour la BDL en 2019, affaiblissant la stabilité du système bancaire.

Multiplicateur keynésien : Calculs des impacts actuels et hypothétiques

Le multiplicateur keynésien pour le Liban peut être calculé pour estimer l’impact économique de ces transferts de dollars, en tenant compte de deux scénarios : le scénario actuel, dans lequel les dollars sont absorbés par le circuit financier de la BDL et des banques privées, et un scénario hypothétique, où une partie de ces fonds serait investie dans l’économie réelle.

Scénario actuel : Multiplicateur distordu

Dans le scénario actuel, la majorité des dollars de la diaspora a été immobilisée au sein de la BDL, avec une faible propension marginale à consommer (PMC), que l’on peut estimer à environ 0,3. Ce faible PMC est dû au fait que les fonds ont été principalement captés par les banques et la BDL au lieu de circuler dans l’économie réelle.

Ainsi, une injection de 1 milliard de dollars dans ce modèle ne génère qu’un impact économique total d’environ 1,43 milliard USD.

Scénario hypothétique : Injection dans l’économie réelle

Dans un cadre alternatif, si 50% des 7,4 milliards USD annuels (soit 3,7 milliards USD) avaient été dirigés vers le secteur productif, avec une propension marginale à consommer élevée de 0,8, l’effet multiplicateur serait bien plus fort.

Ce qui signifie qu’une injection de 3,7 milliards de dollars dans l’économie réelle aurait généré un impact économique total d’environ 18,5 milliards USD.

À titre de comparaison:

1. États-Unis

Les États-Unis ont une économie de consommation, avec une propension marginale à consommer estimée entre 0,7 et 0,8.

Cela signifie que chaque dollar injecté dans l’économie américaine pourrait générer jusqu’à 4 dollars de production économique.

2. Allemagne

En Allemagne, où la propension à consommer est plus faible et l’épargne est plus élevée, la PMC est estimée entre 0,6 et 0,65.

Chaque euro injecté dans l’économie allemande pourrait ainsi générer environ 2,5 euros d’impact économique total.

3. France

La France a une propension marginale à consommer estimée à 0,7.

Un euro injecté dans l’économie française pourrait alors produire 3,33 euros de PIB supplémentaire.

4. Inde

En Inde, un pays en développement où la consommation intérieure est forte, la PMC est estimée à 0,85.

Chaque roupie injectée pourrait alors générer jusqu’à 6,67 roupies d’activité économique totale, bien que l’efficacité de ce multiplicateur dépende de la capacité de l’offre à répondre à cette demande accrue.

5. Japon

Le Japon a une propension marginale à consommer plus faible, autour de 0,6, en raison d’une forte tendance à l’épargne.

Cela signifie qu’un yen injecté dans l’économie japonaise pourrait générer 2,5 yens d’impact total.

Cette comparaison amène à constater que le système financier libanais était en réalité incapable de financer de manière pérenne une croissance économique. Les autorités monétaires et les acteurs financiers étaient donc en échec dans leur principale mission qui consiste à créer de la richesse.

Conséquences économiques : Une économie privée de richesse et de résilience

Les résultats de ces calculs montrent que la redirection d’une partie des fonds de la diaspora vers des secteurs productifs aurait pu offrir une base de croissance bien plus robuste, capable de stimuler l’emploi et de réduire les déficits commerciaux. En 2018, par exemple, le déficit commercial du Liban s’élevait à 17,3 milliards de dollars, soit environ 50% du PIB. Cette situation a accentué la vulnérabilité économique, rendant le pays dépendant des importations et des flux de capitaux externes.

En 2019, la crise de liquidité a culminé lorsque la BDL n’a plus été en mesure de soutenir les rendements élevés, déclenchant l’effondrement du système financier. La livre libanaise a alors perdu plus de 98% de sa valeur, et l’économie libanaise s’est contractée de près de 40% entre 2019 et 2021.

L’expérience libanaise démontre comment une gestion centrée sur le maintien artificiel de la parité et des rendements bancaires a détourné les ressources de l’économie réelle, privant le pays des avantages du multiplicateur keynésien. Au lieu de construire une économie résiliente, les flux de la diaspora ont été captés dans un circuit improductif, où les banques privées ont joué un rôle central dans le blocage des fonds, choisissant les rendements sûrs et élevés de la BDL plutôt que l’investissement risqué mais potentiellement lucratif dans le secteur productif. Ce modèle a éclaté lorsque la BDL n’a plus été capable de garantir ses rendements, laissant le pays dans une crise profonde, avec un secteur bancaire en faillite virtuelle et un niveau de vie de plus en plus bas pour la population libanaise.

Références

Banque mondiale, rapport 2019 sur les transferts de la diaspora.

Association des Banques du Liban, statistiques annuelles et rapports financiers, 2016-2019.

Banque du Liban, communiqué sur les passifs bancaires, 2019.

Banque mondiale, rapport sur le déficit commercial du Liban, 2018.

Banque mondiale, “Lebanon Economic Monitor: The Great Denial,” Spring 2021.lieu de circuler dans l’économie réelle.

Ainsi, une injection de 1 milliard de dollars dans ce modèle ne génère qu’un impact économique total d’environ 1,43 milliard USD.

Scénario hypothétique : Injection dans l’économie réelle

Dans un cadre alternatif, si 50% des 7,4 milliards USD annuels (soit 3,7 milliards USD) avaient été dirigés vers le secteur productif, avec une propension marginale à consommer élevée de 0,8, l’effet multiplicateur serait bien plus fort.

Ce qui signifie qu’une injection de 3,7 milliards de dollars dans l’économie réelle aurait généré un impact économique total d’environ 18,5 milliards USD.

À titre de comparaison:

1. États-Unis

Les États-Unis ont une économie de consommation, avec une propension marginale à consommer estimée entre 0,7 et 0,8.

Cela signifie que chaque dollar injecté dans l’économie américaine pourrait générer jusqu’à 4 dollars de production économique.

2. Allemagne

En Allemagne, où la propension à consommer est plus faible et l’épargne est plus élevée, la PMC est estimée entre 0,6 et 0,65.

Chaque euro injecté dans l’économie allemande pourrait ainsi générer environ 2,5 euros d’impact économique total.

3. France

La France a une propension marginale à consommer estimée à 0,7.

Un euro injecté dans l’économie française pourrait alors produire 3,33 euros de PIB supplémentaire.

4. Inde

En Inde, un pays en développement où la consommation intérieure est forte, la PMC est estimée à 0,85.

Chaque roupie injectée pourrait alors générer jusqu’à 6,67 roupies d’activité économique totale, bien que l’efficacité de ce multiplicateur dépende de la capacité de l’offre à répondre à cette demande accrue.

5. Japon

Le Japon a une propension marginale à consommer plus faible, autour de 0,6, en raison d’une forte tendance à l’épargne.

Cela signifie qu’un yen injecté dans l’économie japonaise pourrait générer 2,5 yens d’impact total.

Cette comparaison amène à constater que le système financier libanais était en réalité incapable de financer de manière pérenne une croissance économique. Les autorités monétaires et les acteurs financiers étaient donc en échec dans leur principale mission qui consiste à créer de la richesse.

Conséquences économiques : Une économie privée de richesse et de résilience

Les résultats de ces calculs montrent que la redirection d’une partie des fonds de la diaspora vers des secteurs productifs aurait pu offrir une base de croissance bien plus robuste, capable de stimuler l’emploi et de réduire les déficits commerciaux. En 2018, par exemple, le déficit commercial du Liban s’élevait à 17,3 milliards de dollars, soit environ 50% du PIB. Cette situation a accentué la vulnérabilité économique, rendant le pays dépendant des importations et des flux de capitaux externes.

En 2019, la crise de liquidité a culminé lorsque la BDL n’a plus été en mesure de soutenir les rendements élevés, déclenchant l’effondrement du système financier. La livre libanaise a alors perdu plus de 98% de sa valeur, et l’économie libanaise s’est contractée de près de 40% entre 2019 et 2021.

Conclusion

L’expérience libanaise démontre comment une gestion centrée sur le maintien artificiel de la parité et des rendements bancaires a détourné les ressources de l’économie réelle, privant le pays des avantages du multiplicateur keynésien. Au lieu de construire une économie résiliente, les flux de la diaspora ont été captés dans un circuit improductif, où les banques privées ont joué un rôle central dans le blocage des fonds, choisissant les rendements sûrs et élevés de la BDL plutôt que l’investissement risqué mais potentiellement lucratif dans le secteur productif. Ce modèle a éclaté lorsque la BDL n’a plus été capable de garantir ses rendements, laissant le pays dans une crise profonde, avec un secteur bancaire en faillite virtuelle et un niveau de vie de plus en plus bas pour la population libanaise.

Références

Banque mondiale, rapport 2019 sur les transferts de la diaspora.

Association des Banques du Liban, statistiques annuelles et rapports financiers, 2016-2019.

Banque du Liban, communiqué sur les passifs bancaires, 2019.

Banque mondiale, rapport sur le déficit commercial du Liban, 2018.

Banque mondiale, “Lebanon Economic Monitor: The Great Denial,” Spring 2021.

***